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Clin d'œil à la formule consacrée, le titre de votre série Thank You For Coming semble directement adressé à la communauté de vos spectateur·ices. C’est le cas ?


Mon travail, et cette série ne fait pas exception, a toujours porté sur la façon dont l'acte d'assister à un spectacle – sa réalisation, son observation, sa perception – produit une mini-société. Je m'intéresse aux artistes, au public et à l'espace chargé entre les deux – la troisième force entre deux positions apparemment dichotomiques. J'envisage une œuvre chorégraphique comme un rituel contemporain : vous faites un voyage collectif et, à la fin, quelque chose a changé. Nous ne sommes pas singulier·es ou individuel·es, mais plutôt en interdépendance banale, grotesque, belle et catastrophique avec tout ce qui existe.


Alors que Attendance joue sur la physicalité des liens, Play opère comme un parcours d’obstacles langagiers. Dans les deux cas, votre travail approche les connexions humaines par le prisme de leur empêchement.


Avec Attendance, j'étais particulièrement intéressée par la manière dont l’interdépendance, plutôt que simplement évoquée, pouvait être ressentie à travers les sens, l'immédiateté du moment présent, à travers les corps des interprètes et le public. Le dispositif est conçu pour évoluer, de sorte que le public doit bouger, s’adapter, participer. Avec Play, j'examinais l'étrange et obscure co-émergence du langage, de la voix et du mouvement. La pièce est un collage de gestes, d'images, de voix et de personnages, où le physique et l'auditif existent dans une relation glissante – les interprètes pratiquent la ventriloquie, se transforment et parlent l'un·e à travers l'autre et pour l'autre. Par ce travail, j’ai cherché à étudier la manière dont le langage définit et réduit à la fois notre expérience vécue, à travers son hésitation corporelle, l'expérience dichotomique du soi et de la représentation du soi, la tension entre « être parmi » et « être seul·e ».


Au contraire des deux volets précédents, vous êtes seule en scène pour le dernier opus Thank you for coming: Space. Pourquoi ce retour au solo ?

Lorsque j'ai commencé le processus de Space, j'étais en proie à un chagrin très profond à la suite du décès de ma mère. J'ai travaillé au rythme d'un corps en deuil. J'étais désorientée et j'avais besoin de penser le travail d'une autre manière. Cette situation a ouvert une nouvelle relation au temps, au travail et aux modes d'écoute. Me placer au centre de ce travail était intimidant, je me suis sentie très vulnérable. Les deux premiers volets étaient des pièces collectives. Dans la troisième, je suis seule avec le public. Mais en fin de compte, Space n'est pas vraiment un solo mais plutôt une pièce pour une centaine de personnes : le public et moi.


À quel espace fait référence le titre de la pièce ?


Je me suis intéressée à la distance qui nous sépare, celle qui fait qu'un autre être humain reste toujours un mystère, même pour ceux qui sont les plus proches de nous. L'espace concerne le lien complexe entre la présence et l’absence. Comment puis-je parler et reproduire l’absence ? Comment puis-je retenir ce qui ne pourra jamais être capturé ? Face à ces forces, comment prendre soin de ce qui ne peut être réprimé ? Comment réconforter ce qui est sans remède ? Space explore ainsi le corps à travers des formes moins visibles : la masse, le toucher, l’odeur. Il s'agit de rendre palpable le poids de l'absence et de la perte, à travers l'attention, les gestes, les voix de toutes les personnes présentes ce soir-là. Space demande de très petits actes d'intimité, de présence. Il y a du jeu, de la souffrance, de la monstruosité, de l'humour et une certaine forme de résilience. Oser approcher la perte et la mort, c'est gagner en vitalité.


Engagée entre 2012 et 2019, votre trilogie Thank You For Coming trouve une résonance nouvelle après la pandémie. Comment cette expérience inédite a résonné dans votre recherche ?


La façon dont nous nous déplaçons continue d'être modifiée par la pandémie, la technologie et les crises climatiques. Nous devons être rigoureux·euses dans notre questionnement sur le monde qui est en train de se construire et sur celleux qui « chorégraphient » nos mouvements et qui en profitent. Nous sommes tous·tes dépendant·es et dérégulé·es par nos écrans et par l'information incessante. Comme le dit le philosophe Byung Chul-Han, nous sommes tous en train de devenir des « infomaniacs », communiquant constamment via les objets connectés mais rarement dans le monde physique. Pour moi, bouger et dialoguer en temps réel avec de vrais humains est la chose la plus vivifiante que nous puissions faire en ce moment.



Thank You For Coming: Space de Faye Driscoll

⇢ les 16 et 17 novembre au Théâtre Garonne, Toulouse

⇢ du 23 au 25 novembre au Lieu Unique, Nantes

⇢ du 30 novembre au 2 décembre au T2G, Gennevilliers, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris

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