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Ce n’est pas le son d’un tambour, pas même celui d’un cœur quoiqu’il en suive la syncope. Quand l’orchestre de l’Opéra de Nancy s’élance, c’est le destin qui fait entendre sa musique. À cette soirée de la Saint-Jean, où Mademoiselle Julie s’enquiert de briser l’une après l’autre les conventions d’une société profondément hiérarchique et machiste, revendiquant une liberté autrement plus vaste que celle qu’on lui accordée à sa naissance, il n’y a peut-être jamais eu, pour elle, d’autre issue que la mort. Les dés paraissent jetés dès la première note. Mais une ritournelle cristalline chantée par la domestique Kristin les rattrape au vol, comme pour les faire mentir. Il est alors tentant d’appréhender Julie à l’aune de cette première phrase musicale. La fatalité annule-t-elle vraiment la valeur d’une vie ? 

Malgré les tourments intérieurs, la révolte, le rêve et la folie qui traversent la pièce de Strindberg, ici adaptée à l’opéra, l’expressivité romantique du moi ne constitue plus l’épicentre du propos. Elle n’est pas non plus naturaliste : trop de fantômes rodent. Le sens est ailleurs, dans la richesse irréductible de l’instant. Dans tout ce que celui-ci renferme, d'histoires et d'épaisseurs, que la certitude d'une fin tragique n'a pas le pouvoir d'abolir. La musique composée par Philippe Boesmans s’en fait l’écho, en perturbant sa ligne mélodique principale, tendue vers le drame, avec des contrepoints plus lumineux, parfois presque pastoraux. 

 

La mise en scène, quant à elle, n’en finit pas de creuser le présent : dans une scénographie mobile qui tantôt resserre le carcan de leur condition sociale, tantôt leur offre du souffle et un salut possible, Mademoiselle Julie, Jean et Kristin – le couple de domestiques – ne sont jamais vraiment seuls, ni monolithiques. Ils charrient avec eux leur passé, leur futur et leurs possibles, leurs secrets, leurs traumatismes et leurs ambitions, leurs espoirs comme leurs jeux de masque. Pour sonder ces profondeurs, Silvia Costa avance par fulgurances, déchirant d’un symbole ou d’une apparition la trame d’une histoire dont elle a ralenti le rythme à l’extrême, et troublant ces corps qui, à la fureur des émotions, opposent des attitudes presque statuaires. Ici, une assiette se fait miroir du narcissisme, puis balance de Tribunal, une robe abandonne de sa superbe comme une virginité se perd, et un personnage devient le double-enfant qu’elle n’a finalement jamais cessé d’être.

Dans leur façon de s’emparer de l’œuvre de Strindberg, Philippe Boesmans et Silvia Costa semblent redoubler la révolte de Mademoiselle Julie d’une seconde. La jeune aristocrate ne se lève plus seulement contre les règles puritaines qui la corsettent. En mettant en jeu son existence entière, elle se lève aussi contre la condition humaine. Face à un monde sans justice ni transcendance, elle rétorque, en donnant toute sa puissance à cette phrase faussement banale : vivre suffit.

 

Julie de Philippe Boesmans, mise en scène Julia Costa a été présentée du 27 mars au 1er avril à l’Opéra national de Lorraine, Nancy

crédit photo : Jean-Louis Fernandez

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