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Prague, Holešovice : ancien quartier industriel, désormais cœur battant du clubbing et de l’art contemporain. Un bâtiment massif : le Palais des expositions (Veletržní palác) tout en béton et en verre. Soleil de plomb. En baissant le regard on aperçoit une femme en salopette de travail qui écrase la tête de sa serpillière gorgée d’eau contre le trottoir. Rien n’indique la performance en cours. Des passants se demandent pourquoi un simple agent d’entretien attire autant de spectateurs. Venue des Pays-Bas, l’artiste Yling Hung affiche en mouillant le sol un message qui s’évapore en quelques secondes : Times becomes tangible trough water – water becomes intangible through time. À côté d’elle, un panneau jaune : « No detour needed » (au lieu de l’usuel « do not cross »). L’artiste inscrit de façon exemplaire les enjeux de cette quinzième édition de la Quadriennale de Prague, dédiée à la notion de « rareté ». Comment les arts vivants, royaume du fugace, peuvent répondre aux exigences de durabilité ?


Peu de matière, beaucoup d’imagination 

 

Dans l’hypercentre, c'est l'abondance. Les touristes avalent des trdelník, petites pâtisseries locales, foncent dans les coffee-shops et se prennent en photo devant une horloge six fois centenaire. C'est là que se trouve la Faculté de Théâtre de Prague où la Quadriennale a réuni des concepteurs de décor. Une chose est sûre : il leur en faut beaucoup moins pour être heureux. De la maquette en pagaille : chaises, tables, personnages, tout ça en papier – pas plus grand qu’une phalange. Ces univers miniatures, ils les prennent en photos de très près, les retouchent sur Photoshop et les envoient aux directeurs artistiques et producteurs, en espérant que leur projet sera sélectionné. Dans un métier où il faut aller vite et où le budget n’est pas infini, la modération va de soi.



À Holešovice, qui accueille régulièrement des événements alternatifs : les installations des étudiants en scénographie venus de l’international s’étalent en plein air. Pour eux aussi, il s’agit de faire beaucoup avec pas grand-chose. Quelques mètres carrés et des matériaux de récupération leur suffisent pour créer des mondes. Devant le pavillon Australien (Story Lines) : une jungle de fils en nuance de beige, des lianes ocre, kaki, crème – teinture naturelle à partir de feuille et d’écorce d’eucalyptus. Allégorie de la diversité de ce pays-continent. Oser passer à travers le dispositif, se retrouver au centre, lever la tête : une ouverture sur le ciel. Même proximité avec la matière au pavillon français. À la verticale : des récipients de pierre en enfilade. We do not own the water, titre punch, pour une œuvre tout en délicatesse. Imperceptiblement, l’eau transpire d’un vase poreux à l’autre. On ne s’accapare pas les ressources.



Obsolescence accélérée 


Dans les anciens abattoirs, la fine fleur de la scénographie contemporaine concourt. À la question de la durabilité le collectif slovaque DOXA répond à rebours avec une œuvre en cours d’autodestruction : un cube en polystyrène noir rongé de l’intérieur par deux performeurs armés de cuillères qui s’attaquent nerveusement à la structure, celle-là même qui les abrite : façon de scier la branche… l’œuvre ne survivra pas à l’exposition. Même tentation de la ruine au pavillon français, avec des matériaux naturels cette-fois. Théo Mercier et Céline Peychet « empruntent » soixante tonnes de sable au chantier d’à côté pour leur sculpture : circuit-court et récupération. Leur Gut City Punch nous entraîne dans un « skinhole », ces gigantesques trous qui suivent un effondrement brutal de la chaussée. Qui dit économie de moyen ne dit pas forcément abandon de l’ambition spectaculaire.


© DOXA pour le Pavillon slovaque


Une installation appartenant plus aux arts visuels qu’au strict travail scénographique ? À cette critique, le brassage d’idées évoquées pendant le talk « Where do exhibitions go after they die » réponds : la versatilité d’une même proposition artistique est une qualité écologique. Aujourd’hui, un même projet a plusieurs vies : un élément de décor devient une œuvre à exposer ou à performer, et inversement. « Il faut voir le décloisonnement entre les arts visuels, la performance et la scène comme une opportunité. Les galeries hésitent encore à prendre en charge une œuvre, alors qu’ici, on prend tous les risques », affirme fièrement Markéta Fantová, directrice artistique du festival. C’est ce qui fait que la PQ ressemble si peu à d’autres grandes messes de la sphère artistique : événement bon enfant et anti-snob où l’on n’hésite pas à bricoler. À la fin du festival, pour limiter le coût écologique (et économique) de rapatriement des éléments exposés pendant ces onze jours, une grande vente est organisée, sur place. Tout doit disparaître.



> La Quadriennale de Prague avec Artcena s'est tenue du 8 au 18 juin 2023

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