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Quelques échafaudages au fond d’une scène vide, et des comédiens postés de part et d’autre des coulisses. Adeline Rosenstein, son texte à la main, entre en tenue du quotidien. Les épisodes dont il va être question, pourtant, n’ont rien d’anodin. Ni l’hommage au compagnon d’aventure théâtrale, prévu dans la distribution, et qui s’est donné la mort durant le premier confinement. Ni le soutien explicite au peuple palestinien, auquel la metteure en scène a consacré sa pièce Décris-Ravage, créée en 2016. Ni encore les périodes d’oppression et les mécanismes de terreur qui seront disséqués méthodiquement par les douze acteurs de ce Laboratoire Poison 3. Première étape, la Belgique en pleine occupation allemande. Témoignages d’historiens à l’appui, nous voici dans les petits papiers du Parti Communiste Belge, des actions de résistance menées par ses partisans jusqu’à l’accord traître des cadres avec la Gestapo. Cut. Nous sommes en Algérie, une décennie plus tard. Dans le casting, d’anciens fervents défenseurs du communisme blanc jouent maintenant les éducateurs de bons sauvages. Cut encore, et l’action se déroule cette fois au Congo puis au Mozambique lors des luttes pour la décolonisation. Le récit, assuré à vue et à tour de rôle par les comédiens, semble diriger les gestes pantomimes exécutés en milieu de scène. Par la malice des effets sonores, tout droit tirés des Sim’s ou d’un quelconque jeu de conquête sur ordi, les échos apparaissent dans les pratiques de torture, de corruption ou de complot. Les scènes sont mimiques, les visages stoïques et les accessoires symboliques. Ici, un morceau de tuyau recourbé fait office de mitraillette, là un stylo devient l’allégorie de toute la bureaucratie.


© Annah Schaeffer


À rebours d’une reconstitution réaliste, le ton détaché de la narration et les faces impassibles des acteurs laissent au spectateur toute la charge d’imaginer et d’assimiler les informations, quant à elles bien réelles. Sans brassards, drapeaux ni étendards, fini le méchant auto-désigné : pour s’orienter, pas d’autre choix que celui d’écouter, de comprendre, et d’assumer apposer un jugement sur les situations observées. Par les jeux de répétition, les bruitages de cartoon et les apartés pince-sans-rire, Adeline Rosenstein ose l’irrévérence dans le mélange des genres, et tricote une analyse politique aussi drôle que rigoureuse. La simplicité des tableaux humains, au lieu de schématiser les faits décrits, semble au contraire extraire avec pédagogie les éléments nécessaires à l’argumentation de la metteure en scène. Point de pathos, mais une longue démarche d’investigation et d’analyse, une esthétique singulière et ludique, et une capacité évidente à dégoter les plus improbables comiques de situation, de répétition, et à oser même parfois l’audace d’un jeu de mots au ras des pâquerettes. Alors que le sujet laissait craindre une énième tentative muséale de faire théâtre politique par le seul effet du texte, Adeline Rosenstein compose une pièce active par la forme, où la simplicité des gestes et des tableaux servent habilement l’hyper-précision de la narration, où l’humour aide à faire passer la pilule, et où, surtout, l’ensemble donne la pressante envie d’aller poursuivre le travail d’enquête, sitôt le spectacle terminé.



> Laboratoire Poison d’Adeline Rosenstein, du 16 au 18 mars au T2G, Gennevilliers; du 22 au 25 mars au Théâtre de Vidy-Lausanne.

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