Sweat à capuches, chaussures de rando et sac à dos vissé sur les épaules : Laurent Tixador semble prêt à repartir, à tout instant. Prendre la route avec le strict minimum, se construire des abris de fortune en chemin, expérimenter des modes de vie alternatifs, c’est ce qu’il a fait de nombreuses années. En 2009, en pleine Fiac, l’artiste fuit les mondanités, préférant se hisser dans un cocon exiguë, juché à 8 mètres du sol (Jumping Bean). Il refera le coup à la Biennale de Murcia, accompagné de son ancien collaborateur, Pointcheval, creusant un tunnel dans le sol pour y vivre une vingtaine de jours. Laurent Tixador a toujours tenté de s’échapper, par tous les moyens. Pourtant, celui qui vient de fêter ses soixante ans, semble vouloir ralentir la cadence. C’est le parc Procé, un îlot de verdure niché au cœur de l’agglomération nantaise, qu’il a choisi pour faire une halte et construire une sculpture en forme de train. 36 mètres de long pour 500 kilos. Photographiée puis reproduite sur un film adhésif, le motif sera utilisé comme habillage pour un tramway de la ville.
Pour réaliser cette œuvre inédite, l’artiste s’est fait aider d’une dizaine d’étudiants provenant de l’École des Beaux-Arts de Nantes Saint-Nazaire et de l’École Nationale d’Architecture, déconcertés plus d’une fois devant l’anti-méthode du plasticien, qui travaille sans plan et avec le minimum d’outils. Plus proche de la figure du bricoleur décrit par Levis Strauss dans Triste Tropiques que de celle de l’ingénieur, Laurent Tixador invoque l’homo faber en chacun de nous. Avec Épilogue sylvestre, pensé comme un décor de théâtre, il renoue avec son premier métier, machiniste.
Cette nouvelle pièce est en bois, sorte de cabane en ville. Auparavant, vous avez beaucoup travaillé à partir de déchets plastiques. Il y a une différence significative entre ces deux matériaux ?
Non, c’est toujours la même pratique. L’idée est de se plier à ce que me propose l’environnement. Dans certains cas, je vais faire un travail de dépollution, en ramassant des éléments qui sont nocifs pour la nature. C’est ce que j’ai fait à Ouessant, pendant un mois. Je ramassais systématiquement tout ce que je trouvais par terre. J'écumais l'île. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai réussi à fabriquer une multiprise rien qu’en faisant fondre du fil de pêche industriel avec des chutes de cuivre d’un ancien phare.
Dans le parc de Procé, je n’avais pas besoin de faire ça. Ce tramway, c’est la tempête Caetano qui m’a aidé à le faire, c’est elle qui a fait chuter tout ce bois. Et, je n’aurais pas été à la déchetterie exprès pour faire une sculpture en plastique, ça n’aurait aucun sens. Après, ce travail sera démonté et la majeure partie du bois passera au broyeur pour faire du paillage pour les espaces verts. La matière est érigée comme œuvre momentanément, avant de retourner d’où elle vient, à la terre, et de suivre de nouveau son cycle naturel.
Qu’est-ce que cette économie de moyens dit de votre condition d’artiste ?
Je ne dépense rien. Donc j'ai besoin de gagner moins d'argent. Donc j’ai plus de temps pour vivre. Bon, forcément, si on ne dépense pas pour des matériaux, il faut les collecter soi-même, ça demande des efforts. J’ai trouvé mon équilibre de cette façon-là. Mon atelier, c'est dehors, avec ce que ça comporte d’influences extérieures et d’imprévus. C’est une façon de faire qui me semble juste dans la société actuelle. Ma grande fierté c'est de pouvoir aller sur le terrain sans une vis ni une ficelle, les mains dans les poches. Je ne ramène rien. Je n’enlève rien non plus. La première étape, c’est donc de fabriquer l'outillage, c’est-à-dire prendre une pierre, lui donner un tranchant, avec ce tranchant couper une branche etc. Ça ne demande pas beaucoup plus d’énergie que d’aller acheter une visseuse chez Leroy Merlin et d’attendre que la batterie charge – sachant qu’en général, il n’y a pas d’électricité en forêt.
Votre pratique a quelque chose à voir avec le survivalisme ?
Non, clairement pas. Je n'ai jamais fait un seul projet où j'étais en situation de survie. À chaque fois, j'avais de la nourriture. Je n'ai pas d'armes, je n'ai pas de réserves de boîtes de conserve, je suis très, très loin du survivalisme. De toute façon, être le dernier à survivre, alors que tout le monde est mort, je trouve ça juste idiot. Non, je cherche juste à être capable de me démerder tout seul, en essayant de me couper le plus possible du système de consommation.
Et dans tout ça, où s'arrête l'art et où commence votre vie?
Je mélange tout. Je ne me pose même pas la question en fait. Surtout pas. Je fais ce dont j’ai envie. Bien sûr, des fois ça m’arrive, je m’interroge… Qu'est-ce que je suis devenu ? Est-ce que je suis toujours un artiste ? La réponse est oui. Mon œuvre a une valeur d'usage, mais ça reste une œuvre.
Pour certaines performances, vous restiez seul, à l’écart, planqué dans une forêt ou sous terre. Que se passe-t-il se passe au niveau sensoriel dans ces moments d’isolement ?
On est complètement à l'écoute de la nature. On se sent comme un animal. On peut se permettre de ne rien faire. De ne pas bouger. Et puis tout d'un coup, on se rend compte qu’il y a un chevreuil en face qui fait exactement pareil. Quelque part, c’est rassurant, ça devient mon compagnon dans cette situation.
Ce tramway peut être perçu comme une invitation au voyage. Quelle est la place du déplacement dans votre œuvre ?
Mes premiers actes artistiques étaient des marches et des voyages. Ça peut paraître complètement étrange mais c’est grâce à ces trajets que j'ai commencé à m'intéresser à l'architecture. La question est de se loger sans rien transporter d’autre que soi-même. Mes constructions s’inscrivent toujours dans une transhumance. Ce sont des aménagements provisoires, une étape dans le cycle d’un voyage. Sinon, on commence à fabriquer une ville en dur, et on court au désastre écologique. Une fois, j’ai construit des igloos en terre en Dordogne. J’ai habité dedans un moment. Les gens ont voulu les conserver, en me disant que ça allait se végétaliser, que ce serait très joli. Je ne voulais surtout pas ! À la fin, ils ont monté un comité de protection des igloos, contre moi…
Quand on a une telle frénésie du déplacement, comment on s’adapte au white cube et aux limites de ses espaces d’exposition ?
La plupart du temps, j’expose des souvenirs de voyage. Ce que je produis pour les expositions ce sont des bouteilles, comme celles que faisaient les marins qui plaçaient des maquettes de leurs bateaux dans des bouteilles vides. C’est une façon de ramener la matière de mes voyages. Tous ces trucs que j'ai dans les poches, je les mets dans la bouteille. Ce sont des objets qui me parlent, assez égoïstement. Je ne cherche pas à expliquer pourquoi ils sont là, c’est mon intimité. Et puis, je n’ai pas envie de vivre autour des souvenirs, je suis très content de les vendre à un collectionneur, et de retomber dessus à la faveur d'une exposition. Ça me touche, beaucoup plus que si j'avais été encombré avec pendant des années.
Épilogue sylvestre (Terminus forêt - Retour aux forêts) de Laurent Tixador, du 28 juin au 31 août dans le cadre du Voyage à Nantes au Parc de Procé
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