« On essaie de prendre la statue avec ? ». Combi léopard, grandes lunettes seventies et tout sourire pour le cliché, Amélie Bertrand surprend dans la nef blanche du musée. « Il faut une belle photo, ce n’est pas tous les jours qu’on est à Orsay. » C’est vrai que l’image est belle. Son Fully Flared d’1m80 sur 1m60 ambiance West Coast est accolé à une statue du XIXème signée Ernest Christophe. Skatepark, ombres végétales et teintes chaudes tranchent avec le regard mélancolique du corps de marbre caché derrière. Pour une journée, œuvres permanentes et peintures contemporaines se partagent la lumière au musée d’Orsay.
L’événement qui envahit cet après-midi le très touristique Musée d’Orsay s’appelle « Le Jour des peintres » et se veut faire la promotion d’un médium qu’on dit souvent négligé, la peinture. Il faut remonter à mars 2024 pour en connaître l’initiative. La peintre Nathanaëlle Herbelin expose ses toiles dans le prestigieux musée. C’est rare : le contemporain cartonne dans une institution si patrimoniale. L’artiste leur souffle alors le nom de Thomas Lévy-Lasne, ambassadeur de la peinture made in France et animateur de la chaîne Twitch Les apparences sur laquelle défilent les peintres du moment. Quatre-vingt d’entre elleux se retrouvent d’ailleurs exposés dans les allées du musée parisien - la nef n’a jamais été aussi chargée. Et ça tombe bien : comme tous les équipements culturels, Orsay est avide d’attirer du nouveau public.
« C’est pas souvent qu’on peut voir un tableau et son peintre à côté. » s’émerveille-t-on dans le public, au grand plaisir de Thomas Lévy-Lasne. « J’aimerais bien que les visiteurs du Musée d’Orsay s'intéressent plus aux vivants, plaide-t-il. Qu'ils osent entrer dans les galeries, rencontrer les artistes ». Après la pandémie, le Ministère de la Culture lance le projet Mondes Nouveaux et débloque 30 millions d’euros pour encourager la création. Aucun·e artiste-peintre n’est sélectionné·e par le dispositif. « En France, on ne met pas assez en avant nos artistes qui crèvent la dalle. Leur peinture n'est pas vue, on n'en parle pas, on ne la montre pas », explique un des membres de l’organisation. « Le jour des peintres c’est un coup de pied dans la porte. » En ferait-on des caisses sur le malaise qui entoure la bonne vieille peinture sur toile ?
Jeudi après-midi oblige, la nef déborde principalement d’étudiant·es en art ou de professionnel·les du milieu, presse incluse. « C’est the place to be » souffle une galeriste. Les touristes, premier public du lieu, se frayent tant bien que mal un chemin dans cette agitation inhabituelle devant les toiles de maître. Orsay compte normalement 7 000 visiteurs quotidiens - le « Jour des peintres » en aurait attiré 14 000. Pourtant, le choix du lieu en étonne certain·es. « Ça aurait eu plus de gueule dans une institution contemporaine », avoue un des artistes. « Je ne suis pas un fan du musée d'Orsay à la base, il peut avoir quelque chose d’un peu coincé », admet même un des organisateurs. Mais c’est le troisième musée préféré des Français. Les galeries, ça emmerde tout le monde, personne ne sait où c’est. Orsay, tout le monde connaît. »
On ne reconnaît presque plus la forteresse patrimoniale en ce « Jour des peintres » - l’ambiance quelque part entre la foire d’art et les journées du patrimoine. En pleine conversation, l’artiste Cecilia Granara se fait interpeller. « Excusez-moi, les écailles, en fait c’est un animal ? Ça fait penser à un serpent. C’est super intriguant. » La question la ravit. Artiste et visiteuse comparent leur analyse de Naissance Puissance, une femme-serpent toute bleue en plein accouchement. « C’est un échange d’énergie, ça rappelle que le musée est vivant. » Certain·es visiteur·euses jugent pourtant cette affluence assez « anxiogène », selon les termes de l’une d’entre eux. Sept heures durant, les peintres zigzaguent, prennent la pose, répondent aux questions. Un brouhaha joyeux et rare trouble la solennité habituelle de la nef. Une chose est sûre, demain, Orsay sera bien vide.
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