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Trois ans plus tard, les effets secondaires des confinements continuent de se manifester : le temps social fait de moins en moins autorité, l’individu, mis face à lui-même, a repris conscience de ses désirs profonds – du moins pour les travailleurs du tertiaire qui ont eu le privilège du télétravail. On recherche sans cesse le vaccin contre les bullshit job, du quiet quitting (l’art d’en faire le moins possible) au « big quit » (vague de démission qui touche les États-Unis et l’Europe depuis 2020). En jeu : le temps de vie qu’on veut arracher au temps de travail. Afin de faire ramollir les horloges aussi bien que Dalí, le MAIF Social Club lance l’exposition Le Temps qu’il nous faut, éloge du ralentissement. À deux pas de l’espace co-working du lieu culturel, où ça renifle le stress des mails en retard, les artistes invitent à la décontraction : couché sur les tapis parfumés aux arômes relaxants tels que la mandarine rouge, la lavande ou la camomille de Julie C. Fortier (La Gravité probable des ondes), assis sur les fauteuils vibrants menant à des états de conscience modifiés de Lyes Hammadouche (Foshan Shuang’er Bo), ou saisi par la contemplation des fragiles pissenlits piqués sur un tableau (Empreintes) par l’artiste Duy Anh Nhan Duc, le farniente devient un acte de réparation.


Julia Haumont © Jean-Louis Carli / MAIF


Dans ma bulle


Vous vous rappelez, en classe, quand vous dessiniez au lieu de noter votre cours ? Vous vous reconnaissez, quand, en pleine réunion, vous perdez le fil car plongés dans vos pensées ? L’imagination agit comme un réflexe d’autodéfense : terrain de repli naturel, elle crée entre nous et le monde une paroi – pas plus épaisse que le contour d’une bulle. La scénographie conçue par Clémence Farrell use de matières textiles semblables à de la gaze pour séparer les espaces. Dans ces cocons ouatés, l’esprit libéré des temps sociaux n’obéit plus qu’à sa propre scansion. Le concert pour semelles d’Arno Fabre (Les souliers – quintet) est l’inverse d’une marche militaire : santiags, chaussures de randonnée, ballerines, chacune de ces chaussures activées comme des automates par un mécanisme tape son rythme. Le pas devient un langage, l’expression d’une intention intime, idiosyncrasique. On distingue le pressé du flâneur, l’arriviste de celui qui va à reculons. Figure absorbée, expression méditative, les statues d’enfants en céramique sculptées par Julia Hamont n’ont quant à elles pas l’âge de déchiffrer les aiguilles d’une montre. De là, peut-être tirent-elles leur sagesse. Suspendues entre le jeu, la rêverie et l’attente, ces petits angelots nous dépassent dans leur capacité à savoir profiter de l’instant, sans rien entre les mains.



Les Temps modernes


Il s’en est fallu de peu pour que les machines, qui portaient en elle des espoirs d’émancipation et de libération de l’homme vis-à-vis du travail, se transforment en outils d’aliénation supplémentaires, effaçant les rêves d’otium – le temps libre de l’aristocratie romaine, consacré à l’étude et à la culture. Pour railler la chronophagie du progrès technique, l’artiste-inventeur Kenji Kawakami a inventé les Chindogus, des objets optimisés, aussi utilitaires qu’inélégants : un casque-réveil (une pendule sur chaque oreille), des chaussettes-vernis à ongle, une serpillère cousue sous la grenouillère de bébé, des chaussons-balais, un ventilateur pour nouilles... Les Chindogus ne sont en aucun cas à vendre, quoiqu’à n’en pas douter ils trouveraient acheteur – tant que ça fait gagner du temps.


Arno Fabre © Jean-Louis Carli / MAIF


Cliquetis répétés, martèlement régulier, tintement du métal… Proche de la sortie de l’exposition, d’inquiétants bruits d’usine se font entendre. Des machines s’agitent : de mini-rouages, qui déplacent une brosse à dent contre un dentier, actionnent des ciseaux dans le vide. C’est la Mécanologie de Pierre Bastien – musicien qui intègre des objets du quotidien (peignes, théières, marteaux) dans des automates pour créer des sonorités. Ce bruit métallique, ce bruit de boulon cadencé, ce bruit de trois-huit contraste avec le cadre apaisant de l’exposition. Si beaucoup des œuvres présentées dans Le Temps qu’il nous faut appellent à retrouver son rythme propre, à rompre le courant rapide des flux de communication, loin de la rue de Turenne dans le centre de Paris, il y a ceux qui verront toujours ce temps dicté par la ligne de production, si bien décrite par Joseph Ponthus :


« Tu rentres

Tu zones

Tu comates

Tu penses à l’heure qu’il faudra mettre sur le réveil

Peu importe l’heure

Il sera toujours trop tôt »


Le Temps qu'il nous faut

⇢ jusqu'au 24 février au MAIF Social Club, Paris

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