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Le visiteur est d’abord frappé par la diversité, la qualité technique et l’ingéniosité des pièces et des « propositions » (150 objets en tout dans l’accrochage madrilène) retenus par les commissaires Mario Meneguzzo, Manuel Fontán et Aida Capa – magnifiquement mises en valeur par l’établissement alicantin donnant sur la Méditerranée. L’aspect « poly-facétique » qui caractérise le travail de l’artiste, comme évoqué dans le dossier de presse, l’a peut-être desservi, le mundillo de la culture et les amateurs d’art étant plutôt friands de catégories esthétiques, de niches, d’étiquettes ou de ce que les Anglo-saxons nomment labelling. L’histoire en général et celle de l’art en particulier étant écrite par les vainqueurs, il n’est pas impossible que la proximité de Bruno Munari avec Filippo Marinetti – connu pour son soutien au régime mussolinien, pour lequel il dessina la couverture du livre Le Poème du vêtement de lait (1937) – ait pu refroidir certains théoriciens.


Le fait est que de nos jours les réalisations de Bruno Munari nous touchent par leur fraîcheur et leur vivacité qui ont triomphé du temps. Sa composition Affiche pour Campari (1960), fait la synthèse du Pop Art britannique, des « mots en liberté » et des affiches lacérées d’un Raymond Hains ou d’un Jacque Villeglé, saturée de couleurs, quoique publicitaire, a surtout valeur plastique. Ses œuvres nous étonnent par l’esprit de géométrie mais aussi de finesse. À la fin des années vingt, l’artiste conçoit des machines « aériennes » (sujet futuriste s’il en est, ayant aussi fasciné Picabia et Duchamp), puis des machines « inutiles » (mais n’est-ce pas le propre de l’art ?). Comme certains tenants du Bauhaus (László Moholy-Nagy, Marcel Breuer, Ludwig Mies van der Rohe), il s’adonne avec talent à la typographie, à l’art cinétique et au design, contribuant à la légitimation des arts appliqués. Dès lors, il troque volontiers la toile pour les matériaux industriels. Ses Fossiles de l’an 2000 (1959) au titre ironique, qui peuvent rappeler, toutes proportions gardées, le Grand verre duchampien, lui permettent d’exploiter de nouveaux matériaux comme le méthacrylate. Sa Lampe Falkland (1959) et ses cendriers cubiques de la même période furent édités en série par Danese.


Jeux d’enfants

Tandis que Luigi Russolo et les frères Bragaglia suggéraient le dynamisme par des œuvres picturales ou photographiques, Bruno Munari est passé, quasiment en même temps qu’Alexander Calder, aux sculptures animées – pour ne pas dire aux « mobiles ». Sa Machine arythmique (1951) préfigure un peu, sous forme de maquette, l’Atomium (1958) d’André Waterkeyn et des frères Polak. L’une des œuvres les plus remarquables, immatérielle ou presque, reste Concave-convexe (1958), une « installation » constituée d’une sorte de double filet à papillons oscillant à la moindre fluctuation de l’air, dont les ombres portées sur les murs et le plafond de la galerie font songer aux « merveilleux » nuages produits par les Machines à fumée (1899) d’Étienne-Jules Marey.


Comme Calder qui donna dès la fin des années vingt de véritables performances artistiques et poétiques avec son petit cirque mécanique transportable en deux valises comme celles des camelots d’autrefois, Munari a créé de multiples œuvres destinées aux petits et grands enfants. Son jeu avec les diapositives couleur, produites sans appareil photo, de simples collages de matières et de textures, Projections directes (1951), relève du spectacle de lanterne magique et anticipe sur les effets du carrousel Kodak dont tira profit Alwin Nikolais dans sa pièce Somniloquy (1967). Avec son Jeu d’écriture (1958-60), Munari dessine un nouvel alphabet pour écoliers. Dans le cadre des labos de la Pinacothèque de Brera, à la fin des années 70, il réalise des installations fragiles et éphémères avec de simples papiers découpés fixés au plafond que les enfants pouvaient modifier à l’envi. Il illustre des livres d’enfants, des livres d’art tout court pour le grand éditeur Einaudi. Celui-ci l’évoque en ces termes : « Son inventivité était foudroyante. Il réussissait à apporter une réponse formelle immédiate au contenu des ouvrages. Il avait des circuits mentaux ultra-rapides qui se cristallisaient dans ses mains (…). Il pensait avec ses mains. »


> Bruno Munari, jusqu’au 25 septembre au MACA, Alicante, Espagne


Remerciements à Camila Fernández Gutiérrez, Fundación Juan March et à Manuela Cirino, Fondazione Jacqueline Vodoz e Bruno Danese

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