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En 2021 l’Allemand faisait bouchonner les matins de Paris (avec son projet Manfred Louveteau), grattant sa guitare au-devant d’un camion poubelle tel le flûtiste du Hamelin libérant la ville de ses nuisibles – ou qu’il dérangea l’internet attifé d’oreilles géantes pour animer son podcast expérimental, Ears of a composer. Habile manipulateur du « weird », le compositeur s’intéresse moins à la musique qu’aux façons de la mettre en scène, en live et en ligne. Celui qui préfère le voyage à la destination s’est posé un nouveau défi : glisser un micro dans son estomac. À cette occasion, la péniche la Pop mute en couloir d’avion – sac à vomis à disposition – pour son Voyage 3000. Rencontre avec le ventre-trotteur. 


Le voyage, est-ce pour vous un mode de vie ? 

 

Quand la majorité des sociétés humaines vivaient encore comme des nomades, le voyage n’était pas associé à l’idée de liberté, mais à une nécessité pour survivre. Puis ces groupes se sont sédentarisés et ont exploité des ressources. Exploration et exploitation finissent toujours par se confondre. C’est la même chose aujourd’hui avec Elon Musk ou Jeff Bezos qui prétendent explorer l’espace pour le bien de l’humanité : en exploitant les ressources spatiales, ils créent une finité là où il y avait de l’infini. Voyage 3000 est une contre-proposition à ces manières de conquérir l’univers. Peut-être que Musk et Bezos devraient juste faire comme moi, s’enfoncer un micro dans le nez. 

 

Comment vous êtes-vous préparé à cette expérience ? 

 

Je tenais à être accompagné d’un médecin. J’en ai contacté plusieurs, beaucoup ont refusé de me suivre. Sauf un qui m’a répondu : « demain matin, 7h45 ». Il avait l’air vraiment convaincu. Il venait de faire une endoscopie du ventre à une autre artiste, deux semaines plus tôt. Insérer une sonde dans un corps est une opération assez courante dans les hôpitaux. L’œsophage est assez pratique pour ça, le trajet c’est : tout droit, pas de courbe, en 60 cm on y est. C’est plus difficile par les fesses, couic couic [mime des routes serpentueuses avec ses mains, ndlr.] – il y a davantage de virages. La seule contrainte, c’est de ne pas manger pendant douze heures. Au début, c’est le médecin qui m’insérait la sonde, mais aujourd’hui je le fais seul. Il faut bien avaler, et ne pas se tromper. Il y a deux entrées – gare à ne pas s’enfoncer le tube dans les bronches. Ensuite il m’a prêté un casque audio : c’est la deuxième fois de ma vie que j’entendais le monde depuis l’intérieur. On perçoit des marmonnements, ce sont les gens qui parlent autour. Les fréquences basses sont filtrées par le corps, les consonnes disparaissent. 

 

Comme l’autoflagellation pour les body artistes, cette mise à l’épreuve corporelle constitue-t-elle une étape dans votre quête artistique ? 

 

Pas nécessairement, je ne voulais pas en faire un spectacle d’avaleur de sabre. Ce n’est même pas très douloureux, il y a juste un moment où il faut le faire. C’est comme un test covid, en plus profond. À une époque, on pensait que le nez menait au cerveau – bien des gens qui se droguent le pensent encore. L’utilisation de mon corps renvoie plutôt à l’idée de l’auto-exploitation de l’artiste. Explorer mène à s’asservir : une fois le micro introduit dans mon estomac, je dois rester passif, je ne peux plus vraiment bouger, ce serait même dangereux. Je suis à la fois le passager, le véhicule et la destination : l’exploitant et l’exploité. 

 

Vous voyez le voyage comme une sorte de transformation. Que vous a apporté la préparation du spectacle ? 

 

J’en ai un peu plus appris sur moi-même. Au cours de mes recherches préparatoires [à découvrir dans des courts métrages diffusés à la Pop le 17 décembre, ndlr.], j’ai eu un entretien avec ma mère pour lui demander comment s’était déroulée sa grossesse. Je voulais retourner à l’origine de mes perceptions sonores. Elle m’a raconté les premiers mois après ma naissance : le seul endroit où je m’endormais c’était dans sa voiture, une Peugeot 504. En termes d’acoustique, la voiture est un utérus prolongé. Il y fait chaud, ça bouge et on s’y sent bien. 

 

En quoi cette pièce renouvelle notre rapport au son ? 

 

Ce qui m’intéresse c’est le déconditionnement de la perception. Les humains sont très visuels. On a toujours besoin de vérifier ce qu’on entend avec les yeux. C’est un réflexe de survie : l’ouïe sert à prévenir du danger. Dans une salle de concert, c’est différent, ça fonctionne comme un safe space : on peut entendre un rugissement sans avoir peur, tout comme on laisse le train nous foncer dessus au cinéma. Travailler sur une péniche permet de dissocier le visuel du sonore : entre le bruit de l’eau sur la coque et les sons qui proviennent de mon ventre, les repères sont brouillés. Le spectateur est comme un embryon qui entend des choses sans toujours savoir à quoi elles renvoient. 

 

Vous avez étudié en conservatoire, pourquoi cette évolution vers la scène ? 

 

Au Conservatoire de Karlsruhe, mon professeur Wolfgang Rihm était connu pour ses pièces d’orchestre. Il a écrit près de 600 œuvres à la main – plus que Bach. Dans cet énorme corpus il n’a pratiquement jamais utilisé d’électronique. Moi qui avais commencé dans mon coin la guitare et la MAO [musique assistée par ordinateur, ndlr.], je me retrouvais entouré de violons, de trompettes, toutes sortes d’instruments classiques. J’ai composé des pièces pour ensembles. Cela m’a plu mais ne me contentait pas. J’ai toujours eu ce besoin de parler de la musique à travers des situations, des mises en scènes, des narrations.  

 

Voyage 3000, une expérience à ne pas reproduire chez soi ? 

 

Pas sûr, c’est quand même intéressant d’entendre ce qui se passe dans son ventre. Et puis, s’enfoncer des trucs dans le nez, les gens le font déjà. 




Voyage 3000 de Nico Sauer : 

⇢ du 14 au 16 décembre à la Pop, Paris

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