Une vingtaine de danseur·euses étendu·es au sol dans un halo doré. En fond de scène, des regards en gros plan fixent les spectacteur·ices depuis un gigantesque écran. Les notes délicates d’une harpe résonnent dans l’espace et le groupe s’anime. Les gestes, mesurés, sont d’une extrême lenteur, leurs trajectoires soulignées par des costumes éthérés oscillant du beige au sable. Voilà la première scène, infiniment gracieuse, de Mythologies, quête dansée dans laquelle Angelin Preljocaj se propose de faire dialoguer mythes antiques et rituels d’aujourd’hui.
En une heure trente et une vingtaine de tableaux, le ballet traverse les histoires fondatrices de notre imaginaire contemporain occidental, de la Grèce Antique à des scènes plus modernes. Nymphes, Amazones, dieux et héros se succèdent, contrebalancés par un combat de bureaucrates en costume ou encore de catcheurs, clin d’oeil aux Mythologies de Roland Barthes. La scénographie est aussi somptueuse qu’ingénieuse, un jeu de panneaux vidéo et de modules superposés permettant de passer avec aisance des décors les plus figuratifs à des atmosphères abstraites. Les images léchées de Nicolas Clauss laissent tantôt apparaître visages, mains ou forêts luxuriantes tandis que la lumière en clair-obscur d’Éric Soyer sculpte la nudité du plateau comme les corps.

Le langage chorégraphique est souple et aérien, fait d’arabesques, de sauts ciselés et de portés tout en grâce. Les danseur.euses ploient ou s’élèvent, se séparent et s’agglutinent dans des ensembles sensuels, vêtu.e.s de voiles transparents ou de drapés flottant soulignant leurs mouvements serpentins. Après plusieurs collaborations avec la scène des musiques actuelles – Air, Jeanne Added –, c’est cette fois à Thomas Bangalter que le chorégraphe a fait appel pour composer un accompagnement symphonique à sa pièce. L’ex-Daft Punk livre une partition grandiloquente de pop orchestrale, puisant dans la fugue ou la valse. Son interprétation en direct par l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine achève de donner une certaine chaleur à l’ensemble, les bruits de la danse – le claquement des arcs des Amazones ou la réception d’un saut – ponctuant judicieusement sa composition.

On retrouve ici tous les éléments de la recette Prejlocaj : un goût du lyrisme, des gestes picturaux et quelques touches contemporaines dans une danse fortement imprégnée du ballet classique et de l’histoire de l’art. Tout est maîtrisé, élégant et parfaitement exécuté. À mesure que le fil se déroule, la fluidité et la souplesse des mouvements flottent en contrepoint d’une veine plus martiale, partageant chaque scène entre deux pôles transparents : l’amour et la violence, latente, qui semble croître au fil des scènes. En faisant un détour par le mythe, le chorégraphe sonde ce qui se cache dans nos inconscients collectifs pour mieux survoler les thèmes les plus contemporains : les rapports de genre, le néolibéralisme, l’injustice sociale, la guerre. Pour boucler la boucle, un dernier regard surgit à l’écran, mais ce sont désormais les visages des danseur·euses du ballet qui nous interrogent. Comment vivons-nous ensemble ? C’est bien là l’entreprise de Mythologies : chercher un espace commun, si besoin dans la violence et le cliché. Une plongée dansée dans nos fondations, nos croyances, afin, peut-être, de leur porter un regard neuf.
Mythologies d’Angelin Preljocaj, du 25 au 29 juin à la Seine Musicale, Boulogne-Billancourt
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