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Avant sa réhabilitation en institution dédiée à la création contemporaine en 1997, le Fresnoy était un complexe de loisir populaire, abritant un cinéma, un dancing, ou encore une patinoire : « C’est ici, là, précisément, que mes grands-parents ont dansé ensemble pour la première fois, il y a plusieurs décennies de cela », précise Smith, qui a accroché sa sculpture – une silhouette iridescente réalisée à partir de simulations faites par une IA – au-dessus de ce point symbolique. Pour cette nouvelle édition de Panorama, certains artistes – diplômés de l’école ou professeurs –, utilisent les nouvelles technologies pour combler les lacunes du temps : faire ressurgir des visages enfouis, réédifier des cités détruites ou faire resurgir des forêts rasées. Dans cette école qui a toujours fait la part belle au médium filmique, les technologies immersives sont les bienvenues : en complément des caméras qui enregistrent des morceaux de présent, la 3D rend possible la recréation d’un passé perdu.



Aliha Thalien, Nos Îles, Film, 2023, Production Le Fresnoy - Studio national © D. R.




Revivre, faire revivre, réparer


Il a encore les yeux brillants devant son installation au point qu’on peine à savoir s’il s’agit de l’artiste ou d’un spectateur qui la découvre pour la première fois. C’est une des premières œuvres de l’exposition mais aussi, une des plus surprenante. Évoquant le deuil de l’auteur suite au décès de sa petite sœur, disparue alors qu’elle était enfant, l’installation se compose de quatre mannequins miniatures, tournés vers des écrans sur lesquels défilent des animations d’inspiration manga. « La perte de Darin m’a poussé à envisager son esprit dans une continuation numérique », indique Charayat Ritaram en commentaire de son œuvre, Darin 1.0, qui hérite autant des croyances bouddhistes concernant la réincarnation que des mythes de mind uploading (faire survivre son esprit dans une machine). La pénombre dans laquelle est plongé l’immense espace d’exposition du Fresnoy favorise l’introspection. La création d’images artificielles ouvre de nouvelles perspectives : notamment la possibilité de revoir son passé. Un casque VR vissé sur la tête, on erre en suspension dans un appartement, d’une pièce à l’autre, de la baignoire entartrée à la chambre, irradiée d’un jour bleui : les occupants étaient encore là il y a peu. Alisa Berger a récupéré les photographies de Marko, un ami ukrainien qui a dû quitter son foyer, dans le Donbass, au début de la guerre. Forme de talking-cure assistée par l’image virtuelle, Marko commente cette vision de ce « chez lui » désormais devenu un ailleurs inaccessible. C’est vers les technologies sonores que Mélia Roger se tourne quant à elle pour restituer ce qui est perdu pour de bon. Dans la vidéo Photocène, on la découvre, elle et son équipe de preneuses de sons, diffusant, dans des forêts en cours de destruction, des enregistrements de zones qui n’avaient pas encore été ravagées. L’artiste s’appuie sur des études montrant qu’émettre des piaillements d’oiseaux dans des milieux abîmés favorisait la repousse.



Achref Toumi, Between them, two mountains and two seas, Panorama 26, juin 2024, Le Fresnoy © Quentin Chevrier




Rompre la distance 


« Pour certains étudiants venus de l’international, il a fallu beaucoup batailler pour arriver jusqu’au Fresnoy. Cela se ressent dans l’intensité émotive de leurs œuvres », témoigne François Bonenfant, responsable pédagogique de l’école. Pour Amer Albarzawi, exilé de Damas en 2010, le souvenir de ses proches se recompose, leur image divisée entre les appels visio et la mémoire, subjective, de leurs visages. Au point de devenir flou. Dans un boitier transparent – évoquant librement une boîte aux lettres ou, aussi bien, une réconfortante mangeoire pour oiseau –, Hybrid Memory diffuse ces séances Skype : la vitre, déformante, brouille les traits des protagonistes. Cet itinéraire en dents-de-scie, l’artiste le reconstitue aussi hors de l’écran, sur le tapis qui est sous nos pieds, textile où apparaissent, dans le désordre, un falafel, une carte d’identité française, la déesse Asherah, des bâtiments en ruine – les motifs de la mémoire perdant leur hiérarchie dans un présent chaotique. Plutôt que de s’efforcer à maintenir la connexion longue distance, Achref Toumi préfère clore les paupières pour renouer avec les siens. C’est en rêve que sa famille se réunit. Dans une installation vidéo à regarder allongé.es, les yeux levés au plafond, il filme sa grand-mère, qui se fait déposer en voiture à l’aube, devant une mystérieuse demeure. On la voit, pendant plusieurs minutes, tourner les clefs dans la serrure : en vain, la porte ne s’ouvre pas. En revanche, un motif en arabesque envahit l’image jusqu’à la rendre illisible. « Quand mon grand-père a disparu, ma grand-mère a commencé à rêver de lui régulièrement, je me suis inspiré de ce qu’elle m’en racontait. Par contre, ce n’était pas prévu que la porte reste bloquée au moment du tournage... On a décidé de garder la scène », raconte l’auteur de Between them, two mountains and two seas.


Ce Panorama 26, marque un tournant dans l’usage des réalités virtuelles qui, après avoir été utilisées pour dresser des prophéties dystopiques, rejoignent des thématiques plus intimes, pointant moins l’avenir qu’un passé familial, autobiographique, ou collectif, dont on souhaite explorer les zones d’ombres.



Panorama 26, exposition collective, jusqu’au 5 janvier au Fresnoy, Tourcoing



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