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« Il y a plus de deux milles ans de rivalité entre la ville ouvrière de Saint-Etienne et Lyon, sa doublure bourgeoise », sourit Bertrand Stofleth à la barbe de Nicolas Giraud. Les deux artistes, respectivement d’origine stéphanoise et lyonnaise s’amusent de leur pseudo-concurrence. « Il n’y a pourtant qu’une soixantaine de kilomètres entre les deux », renchérit le second. Cette vallée, marquée par la fermeture des usines nombreuses et la succession de bassins géologiques qu’elle abrite, ressemble à bien d’autres sur le territoire métropolitain. Pourtant, le duo fait le choix du singulier pour penser ce paysage générique, jalonné de bâtiments abandonnés, de ponts de chemin de fer et de restaurants de station-service.


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Comment faire honneur à ces années de reportage ? Chaque image fonctionne comme une interface et donne accès à une série de clichés supplémentaires ou à des textes commandés à plusieurs auteurs et experts. L’exposition reprend un dispositif de réalité augmentée initié par Bertrand Stofleth lors de son exposition aux Ateliers Médicis-CNAP en 2022. « Chaque prise de vue est aussi un outil pour extraire le sens du territoire, précise Nicolas Giraud. Nous voulions transformer nos photographies en matériau de base pour réfléchir à cet espace géographique. » La photographie devient une porte d’entrée vers les archives du projet. Sentiment de satisfaction assuré, il ne reste plus qu’à scroller. Essayiste, historien, botaniste et écrivain sont conviés à considérer ce terrain d’études entre Saint-Etienne et Lyon. Il faut lire les mots de Jean-Christophe Bailly sur cette zone intermédiaire : « Un état d’inachèvement dénué d’impatience, comme si tous ces fragments de monde bricolés, ravaudés, aménagés à la va-vite ou (…) délaissés finissaient par configurer, justement, un monde, et vivable, et vivant. » Ou ceux du journaliste sportif et romancier Vincent Duluc sur l’externalisation du stade lyonnais : « On ne dit plus Gerland, à Lyon. On dit Groupama Stadium, à Décines. » Et ça, pour le spécialiste du football c’est surtout le symptôme d’une modernité qui aseptise les traditions.


La Vallée © Nicolas Giraud et Bertrand Stofleth


De la beauté dans l’échec


« On était attentifs tous les deux à ne pas esthétiser une certaine forme de dénuement », assure quant à lui Bertrand Stofleth. C’est vrai, le territoire est balafré par les tours de télécommunications, les panneaux publicitaires et les émanations de la vallée de la chimie. Toutes les époques se télescopent, les piquets de grève cohabitent avec les vestiges romains. L’usine qui résiste partage un espace de friches et de ruines, signes d’un relatif réensauvagement. Les deux photographes avouent leurs fortes influences américaines (Lewis Baltz ou Lee Friedlander) dans la capture frontale de ces « paysages ingrats et étranges ». Pourtant, ils le font sans hyperbole, soucieux de rester fidèles à une certaine « culture de la défaite ». « Je pense à ce bar sur la place de la gare de Saint-Etienne : Le Glasgow. C’est là-bas que l’équipe de football de la ville essuie une des défaites les plus emblématiques de son histoire. Pour autant, ils assument fièrement l’issue de ce match », explique Nicolas Giraud, admiratif. Une beauté dans l’échec à laquelle les artistes sont attachés. Au milieu de la longue pièce principale du CPIF : une cabane en tôles d’acier, « un objet métonymique, que l’on retrouve partout sur le globe ». À l’intérieur résonne une voix qui raconte la fermeture de l’entreprise productrice de ces plaques en métal. La cabane trône fièrement entre les images, comme un artefact de cette histoire exemplaire. 


La Vallée © Nicolas Giraud et Bertrand Stofleth


Pour La Vallée, Nicolas Giraud et Bertrand Stofleth font coexister matérialisation symbolique et digitalisation. Un livre en treize séquences, plus narratives, conclura cette décennie de documentaire et devrait paraître prochainement. Entre projet éditorial et exposition immersive, cette approche multimédia d’un territoire aux milles strates d'interprétations fait la force du dispositif. Pourtant, il semble aussi habité par la contradiction. Quid de l’usage d’une technologie numérique pour documenter les effets délétères de l’anthropocène ? On ne peut que sourire à l’idée de nos propres paradoxes, symptômes de notre époque.


> La Vallée de Nicolas Giraud et Bertrand Stofleth du 16 octobre 2022 au 15 janvier 2023 au Centre Photographique d'Ile-de-France, Pontault-Combault. 

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