Édito
Un immeuble change de main, un terrain vague est bétonné. Une ligne de métro est promise depuis des années, la station n’existe pas encore. Un immense food court ouvre ses portes sur les docks de la Seine. On rase des ensembles, on rebaptise des secteurs entiers. Les discours des élus rassurent, les visages changent, les loyers montent. Décidément, le territoire se transforme plus vite que la carte. Cette 8e édition de Regards du Grand Paris, commande photographique portée par le Centre national des arts plastiques (Cnap) et les Ateliers Médicis, embrasse l’instabilité de la métropole et surfe sur ses lignes de tension. Avec pour fil rouge « Ce qui ne tient pas en place », les six photographes invité·es n’ont pas cherché à documenter un état du territoire, mais révèlent ce qui s’y transforme et résiste à l’assignation. Chacune à sa manière, leurs images déjouent les maquettes des promoteurs immobiliers.
Marvin Bonheur jette des ponts entre la Seine-Saint-Denis, Shanghai ou Détroit, affirmant l’existence d’une mémoire joyeuse et partagée des marges. À partir d’archives familiales et des silences hérités, Lynn S.K. remonte le fil d’une mémoire franco-algérienne fracturée, tenue à l’écart du récit national. Florence Cuschieri s’immisce dans le quotidien d’adolescents exilés, livrés à eux-mêmes dans les rues de la capitale. Elle capte des corps en attente, des regards en fuite, et interroge la place que la réalité laisse à leurs rêves. Julie Joubert suit la formation de jeunes hommes venus du monde entier pour se réinventer dans la Légion étrangère. L’uniforme façonne les postures, efface les identités, mais laisse affleurer une fragilité inattendue. En observant le vol discret des cormorans, Caroline Cieslik découvre qu’un projet d’entrepôt menace leur refuge. Les volatiles deviennent alors les figures d’une lutte contre l’aménagement aveugle. Claire Tenu réactive le protocole photographique d’Eustachy Kossakowski, qui avait documenté en 1971 les 129 points d’entrée de Paris. Un demi-siècle plus tard, en reprenant cet itinéraire, elle observe comment les seuils urbains ont glissé jusqu’à ne plus savoir où la ville commence, ni s’arrête. C’est dans les grandes métropoles que les inégalités sont les plus criantes, mais c’est aussi là que surgissent les gestes de résistance. Les photographes de cette édition en captent les traces : une mémoire qui refuse d’être enterrée, une manière de faire son nid malgré tout.
Jean-Roch de Logivière
Sommaire
Claire Tenu : Paris borderline
Marvin Bonheur : banlieue contrechamps
Julie Joubert : la grande patrie
Caroline Cieslik : à hauteur d'oiseau
Florence Cuschieri : mon rêve de gamin
Lynn S.K. : un album de famille
Une coédition des Ateliers Médicis, du Centre national des arts plastiques et de Mouvement
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