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Marie-Thérèse a heureusement sorti son auto du garage. Celui-ci est donc vide, ou presque. Une demi-sphère métallique de près de quatre mètres de diamètre, abri de fortune en forme d’igloo, squatte pour le moment le centre du hangar. Une télé allumée dans l’âtre du polyèdre diffuse en continu des travellings de lacs, de chutes et de cours d’eau. Un individu, côté cour, ne cesse, du début, c’est-à-dire dès avant notre entrée, de toper la peau d’un tambour qui ne lui a pourtant rien fait. Il a pour nom Alexis Degrenier. Une voix féminine et mondaine s’élève côté jardin, du haut des gradins, qui retrace une bataille perdue par un général français contre un de ceux d’Albion, il y a de ça des siècles, en terre amérindienne. Une autre, émise juste derrière nous, dit une enfance de métisse algonquine. Elle évoque également les danses de hautes herbes.

Un sms s’affiche sur le mur du fond, résumant la note d’intention de la chorégraphe – une « recherche sur les danses et les musiques natives » –, suivi de l’immédiate réponse d’un(e) certain(e) Isra. Entrent, l’une puis l’autre, de tous côtés possibles, les membres d’un quatuor qui ne nous faussera plus compagnie durant l’heure de cet inusuel rite. Leur arrivée survient de manière légère, toutes mêmement vêtues de tuniques sombres à franges conçues par Eric Martin. Leurs visages sont masqués de casquettes-cagoules de chasseurs ou chasseresses. Leurs extrémités sont couvertes de gants de jardin ostensibles et de courtes bottes qui produisent des crissements sur la neige, du moins c’est ce que suggère la musique concrète de Jonathan Kingsley Seilman. De gracieux bonds et rebonds marquent les coups de tampon du collègue tambourinaire.

Après en avoir fait le siège le temps qu’il faut, les danseuses recouvrent l’armature en fer de bâches plastiques se trouvant là par hasard et forment une toiture semi-translucide (ou à moitié opaque) qui rend la tente étanche et habitable telle une cabane au Canada. Des sons électroniques sortent d’un antique Moog. Puis, on passe aux choses sérieuses. Autrement dit, à la danse. Un mouvement perpétué par elles, qu’elles soient de nous toutes visibles ou non – certaines devront ou pourront se situer hors du champ, cachées par la butte –, des regroupements par affinités – en trio ou en couple(s). Des gestes simples d’apparence : de grandes enjambées fixant le territoire, des chassés et des frappes du talon, des glissés arrière. Et une fois les petons mis à nu, des marches paisibles, des voltes en divers sens, des velléités de derviches, des sautillements de boxeurs sans ring, d’amples moulinets de bras, de défilés de modes futures ou passées, de déploiement de Crows se profilant en contrejour, des pauses et des suspensions, des ralentis ouateux, des figures au sol au bout de l’épuisante série...

Chacune a droit à son solo. La variation de Lucie Collardeau est intense et plutôt brève. Celle d’Olivia Grandville, plus posée. Tatiana Julien fait dans la techno. La prestation de Clémence Gaillard conclura la pièce spectaculairement. Les danses indiennes sont actualisées ou, ce qui revient au même, abstraites de leur contexte et de leur objet. Olivia Grandville a fait avec. Et uniquement avec. Elle les a stylisées à sa manière, unique, est partie du fancy (du tracé des points cardinaux) pour aller au chicken iroquois (bras pliés, genoux fléchis, tête hochée), en passant par le grass annoncé supra (le tassement symbolique d’une herbe non fauchée). Tandis que s’annonce la transe par des signaux ne trompant pas – tintement de cloche mimée par la cymbale, crescendo du volume jusqu’au fortissimo, accélération des événements sonores et visuels –, apparaît la silhouette gigantesque, inquiétante de Clémence cuirassée comme un samouraï. Le sport local du hockey sur glace dont elle feint de jouer la goal la transforme en sculpture futuriste. Elle incarne alors pour nous le bronze de Boccioni, Forme uniche della continuità nello spazio (1913).

 

 

> A l’Ouest d’Olivia Grandville a été présenté du 7 au 9 décembre à la Ménagerie de verre, dans le cadre du festival les Inaccoutumés. 

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