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Ce soir-là, la troupe de la Comédie Itinérante de Valence est accueillie par le Théâtre de Die. Au pied de la montagne du Glandasse, cet ancien hangar à grains repris par l’association Festival Est-Ouest fait salle comble. À l’intérieur, côté cour, une baignoire, un miroir, une petite fenêtre à barreaux. Enfermée de part et d’autre par deux gradins dans un dispositif bifrontal, la scène, semblable au couloir étroit d’une prison, participe à un sentiment d’enfermement.

Affichant un large sourire, la comédienne Nelly Pulicani le traverse en nous regardant, cartons entre les bras. La radio qu’elle branche, juste au-dessus du bain brûlant, diffuse un bulletin d’information. Celui-ci annonce le décès d’Albertine Sarrazin, 30 ans, morte sur une table d’opération, due à l’incurie d’un anesthésiste. C’est pourtant elle, bien vivante, qui s’immerge dans la baignoire.

Ce seul élément de mise en scène est aussi intime que complexe, parce qu'il est à la fois porteur de vie et de mort. Tête sous l’eau, en apnée, poing relevé, elle compte. Elle compte les jours, les années. Interagissant avec le public, d’une langue gouailleuse et sophistiquée, elle raconte. 1952. Sa fugue de l’internat, l’instinct de survie comme seul bagage, son arrivée à Paris. Sa vie dans la capitale, ses rencontres en discothèque, ses vols au Prisunic. Albertine se fait appeler Annick, parce que c’est plus coquet. Elle arpente les rues, longe les quais, veut « nager au milieu des idéalistes et des existentialistes » et leur ressembler.

Elle sera emprisonnée pour la première fois en 1953 après un hold-up qui aurait mal tourné. Sur scène, c’est la radio qui prend le relai de la narration pour raconter les conditions de détention, pendant qu’Albertine compte les jours, à la craie, sur le mur de la salle de bain. On comprend qu’elle s’évade au bout de quatre ans. Une chute d’un mur de quatre étages, elle se casse l’astragale – qui donnera le titre d’un de ses trois livres – rampe jusqu’à la nationale et rencontre Julien, l’homme de sa vie.

Seule en scène, Nelly Pulicani livre une performance véritablement physique, s’aidant parfois du public pour incarner, en silence, un amant ou un parent. Lieu clos de chaque instant de sa vie, le plateau devient tour à tour cellule carcérale, chambre de bonne, maison de son amant, chambre d’hôpital. Traversé d’un flux d’images, de mots, de gestes et de souvenirs, il fait revivre devant les yeux des spectateurs-lecteurs la fulgurante comète que fut Albertine Sarrazin.

 

 

> Sarrazine de Julie Rossello Rochet et Lucie Rébéré, du 7 mars au 11 avril en Comédie Itinérante, avec la Comédie de Valence

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