Un drame syndical à l’opéra ? Inspirée de l’expérience, bien réelle, des employées de l’usine Lejaby en Haute-Loire, 7 minutes a d’abord été une pièce de théâtre (Stefano Massini, 2014) puis un film (Michele Placido, 2016) avant de devenir un opéra, commandé à Giorgio Battistelli par l’Opéra de Lorraine. Celui-ci est aujourd’hui repris à Lyon dans une mise en scène signée Pauline Bayle, actuellement directrice du Théâtre Public de Montreuil. Huis-clos campé entre les postes de couture et les machines à broyer les chutes de tissu, l’intrigue fonctionne sur les ressorts du film de procès type Douze hommes en colère (Sidney Lumet, 1957). Il suffit qu’une protagoniste ait l’ombre d’un doute pour gripper le mécanisme de l’unanimité. Suffisamment pour faire pencher la balance dans l’autre sens ? Tout l’enjeu est là. Au centre du dilemme : les sept minutes qui titrent la pièce. Ressortant d’une réunion avec les nouveaux propriétaires de la fabrique (« les cravates »), Blanche, la porte-parole, explique : toutes pourront garder leur poste à condition d’accepter de « faire un geste » pour soutenir les « efforts de l’usine » en diminuant simplement leur pause journalière de « moins de la moitié ». Elles sont onze et ont un peu moins d’une heure trente pour voter.
D’abord soulagées de ne pas se retrouver sur le carreau, les ouvrières sont vite plongées dans le doute. Leurs interrogations s’enroulent autour d’un nœud éminemment politique : la dynamique collectif / individu. Car 7 minutes, c’est sans doute peu par jour et pour chacune, mais multiplié par le nombre d’ouvriers et le nombre de jours, cela revient davantage à un cadeau aux patrons qu’à un simple « petit geste ». Comment concilier intérêt général et problématiques personnelles ?

Si les paroles du livret sonnent juste, un doute persiste malgré tout. Car les choix du compositeur comme ceux de la metteuse en scène font pencher la balance dans un sens. Giorgio Battistelli a en effet taillé sur mesure des partitions hautement singulières pour chacune des onze chanteuses. De la couleur de leur tessiture, magnifiée à chaque aria, aux visages projetés en gros plan sur le rideau de salle, jusqu’à l’attitude des corps et des costumes : toujours et encore, la spécificité des personnalités et des conditions de vie prend le pas sur l’intérêt général. Les tableaux campés par Pauline Bayle démontrent une fois encore, par leur beauté plastique, la grande intelligence qu’elle a de l’espace du plateau. Mais ceux-ci ne cessent de surligner les silhouettes en invisibilisant le groupe.

La représentation des revendications, grèves et révoltes des travailleurs pose un problème aussi ancien que le mouvement ouvrier lui-même. Les réponses fournies par la littérature bourgeoise du XIXe siècle comme par le réalisme social marxiste n’ont jamais pleinement satisfait – l’une campant des foules, l’autre héroïsant des collectifs trop homogènes. Mais la lecture individualisante de 7 minutes touche malheureusement aussi ses limites. S’il y a de quoi se réjouir que les narrations lyriques s’emploient à raconter la société contemporaine, installer un décor d’usine sur une scène d’opéra ne suffit pas encore à y inviter tout à fait la question sociale.
7 minutes de Giorgio Battistelli par Pauline Bayle et Miguel Pérez Iñesta a été présenté du 15 au 29 mars à l’Opéra de Lyon
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