Au milieu d’un dispositif bifrontal, une longue toile immaculée recouvre un muret, des marches et un mur en dévers. Sur ce fond neutre et sinueux, rappelant abstraitement le cadre d’une salle d’audience, un groupe de sept interprètes franco, italo et lusophone recrée à tour de rôle des entretiens réalisés par Émilie Rousset sur le droit des familles entre octobre 2023 et juin 2025 à Paris, Lisbonne, Milan et Barcelone. La forme est posée : la metteuse en scène déroule le tapis blanc aux Affaires familiales.
Premier chapitre : une comédienne et un comédien s’entretiennent au sujet du mariage pour tous et des procédures d’adoption pour les couples homosexuels. Au fil de leurs échanges, des projections apparaissent au sol et aux murs : outre les ombres de silhouettes anonymes, des extraits des entretiens dirigés et enregistrés par la metteuse en scène défilent. D’abord centrée sur les angles morts du cadre d’interview, la caméra laisse entrer une femme dans son champ, mettant en évidence une synchronisation des images avec l’expression vocale et gestuelle de la comédienne au plateau.

Et ainsi de suite pour les huit entretiens suivants. La metteuse en scène dégage ici un large spectre de dossiers sensibles : PMA, GPA, viols conjugaux, incestes. Les récits collectés auprès de témoins dont l’identité est tenue secrète, offrent une diversité de points de vue dans laquelle se distinguent la langue du droit et celle du quotidien. D’un côté, citoyens et citoyennes assurent la caution « émotion » en témoignant des pressions sociales ou juridiques vécues en cours de procédure. De l’autre, des avocates exposent leurs stratégies et plaidoiries avec une rigueur, une passion et une clarté indéniables. À ce titre, les prestations des comédien·nes restituant leur parole sont d’une précision qui force le respect.
Question de temps
Seulement, en suivant à la lettre les préceptes du théâtre documentaire, Émilie Rousset prend le risque d’une certaine linéarité. Si la performance choréo-vocale et la gravité des affaires exposées nous saisissent au début, la mise en scène perd de son dynamisme en cours de route. Un paradoxe émerge : si agile quand celle-ci révèle l’archaïsme du système judiciaire à l’heure des mutations sociales du XXIe, la pièce en oublie presque le principal : elle-même, son cadre méta-théâtral. Les interprètes ont beau se relayer pour faire entendre les voix de parents de même sexe luttant pour adopter leur propre enfant, ou le choc d’une mère sortant du déni face à l’inceste dans son foyer, le procédé de restitution texto des entretiens accuse des redondances passé la première heure.
Faire le choix de l’épure pour resserrer la focale sur les discours était un pari osé. Quelques subtilités affleurent dans le dernier tiers, comme cet effet stéréo où les interprètes se répondent en face à face depuis les gradins. Celles-ci interviennent-elles trop tard ? Il en va de même pour la policière catalane figurant dans l’ultime entretien, ici caricaturée en bodybuildeuse, un geste qui détonne avec la ligne sobre tenue tout du long. Et c’est pourtant le type de pas de côté que la pièce aurait gagné à explorer, quitte à sacrifier à sa noble ambition documentaire.
Affaires familiales d’Émilie Rousset, jusqu’au 17 juillet dans le cadre du Festival d’Avignon à la Tinel de la Chartreuse-CNES de Villeneuve-Lez-Avignon
⇢ du 19 septembre au 3 octobre dans le cadre du Festival d’Automne au Théâtre de la Bastille, Paris
⇢ les 7 et 8 octobre au Lieu Unique, Nantes
⇢ du 3 au 12 décembre au CDN Orléans
⇢ les 11 et 12 février 2026 à Points Communs, Cergy-Pontoise
⇢ les 11 et 12 mars au Volcan, Le Havre
⇢ du 18 au 20 mars à l’Agora, Evry-Courcouronnes
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