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« Le travail social vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté », indique le Code de l’action sociale et des familles. Une définition pas si simple pour l’équipe du spectacle-ovni Le social brû(il)le. Travailleurs sociaux et comédiens-chercheurs du collectif Travaux Publics investissent le plateau pour réfléchir, ensemble, aux missions de toutes les professions concernées. Au fond, ne devrions-nous pas tous et toutes s’acquitter de ces tâches ? Est-ce bien normal d’avoir relégué le soin des plus fragiles à des centres spécialisés, loin du corps social ? 

 

Un dispositif rare 

 

En 2020, Jean-Marc Introvigne, retraité, reçoit un mail de la MC93 où il a ses habitudes en tant que spectateur. On lui propose, avec 500 autres personnes, d’assister à une réunion organisée par une association un brin nébuleuse : les Nouveaux Commanditaires. Qui sont-ils ? Que lui veulent-ils ? Rapidement, il est séduit par le principe. L’association convoque des citoyens et des citoyennes, leur propose de réfléchir à une thématique ou un enjeu contemporain avant de réaliser une commande à un artiste. En transformant la politique d’attribution des subventions aux créateurs, les Nouveaux Commanditaires innovent depuis 30 ans. Désormais, les attentes du citoyen sont placées en amont du projet artistique, des questions de production, de la vision égotique de l’artiste, etc. Un beau chantier.  

 

À la fin, il ne restait que 15 citoyens impliqués dans le projet. Après des mois de réflexion, le groupe de commanditaires rétrécit naturellement et s’arrête sur les enjeux du travail social, allègrement déconsidéré lors de l’épidémie de Covid19 qui, entre temps, est passée par là. Le collectif Travaux Publics rencontre des profs de français langue étrangère, des coordinateurs de GEM (centres pour usagers en santé mentale), des psychologues, des directrices de structures pour les jeunes porteurs de handicap. Un groupe hybride pour un dispositif complexe. L’aventure, rare, s’étale sur quatre ans pour mettre en lumière les missions de ces travailleurs de l’ombre. 

 

L’équipe du collectif et les huit travailleurs sociaux convoquent des outils de l’éducation populaire, de la psychologie et de la sociologie. Le spectacle débute autour d’une scène centrale, où est invoqué le théâtre d’enseignement de Brecht, avant que le public ne soit diffracté et orienté vers des formes plus expérimentales dans des petits espaces annexes. Ici, un groupe de spectateurices est invité à confectionner une frise historique du travail social. Là, iels assistent à un décryptage vidéo live d’une session collective par une psychologue des enfants. Plus loin, Michèle ou Fabien racontent leur quotidien dans une séance d’Instruction Sosie, outil d’éducation populaire permettant le transfert de compétences professionnelles par l’exemple. Iels racontent leur journée, reste plus qu’à les imiter. Ces petites formes contribuent à un spectacle composite et modulable, adaptables à de plus petits espaces de représentation, comme des séminaires, ou en cas d’absences fréquentes des contributeurices, appelé.es par leur devoir. 

 

Action concrète

 

Et alors, ça fait quoi de jouer sa propre vie ? Malmenés par des cadences effrénées, des manques de moyens colossaux, une absence criante de soutien psychologique à l’issue de situations souvent traumatiques, ces travailleurs de première ligne, en contact avec les plus démunis, témoignent tous d’une grande solitude. Pour beaucoup, l’élaboration de cette pièce fût thérapeutique, constituant un véritable lieu de lâcher prise. Pour certains, l’effet miroir fût si fort, qu’il a mené à des démissions ou des ré-orientations. « Comment ai-je pu subir ça pendant toutes ces années ? » souffle Bintou, ayant fraîchement quitté son double emploi. « Le théâtre sert à ça, c’est son principe même », d’après Sandra Iché, membre du collectif Travaux Publics. Produire des effets sur le réel, changer la société (osons nommer les ambitions) : cette expérimentation théâtrale ne devrait pas s’arrêter là malgré les difficultés de production. On se met à rêver à une alliance interprofessionnelle de grande envergure, entre travailleurs sociaux et artistes, pour faire entendre leurs besoins spécifiques aux pouvoirs publics. Le social brûle certes, il peut aussi briller.


Le social brû(il)le du collectif Travaux Publics en collaboration avec des travailleurs sociaux du 23 au 27 avril 2024 à La Villette. 

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