À l’heure même où le Pape François, reçu telle une rock star au stade Vélodrome de Marseille, interpelle l’Europe sur l’inhumanité du sort qu’elle réserve aux exilés, une autre messe est célébrée à Lyon. Liberté Cathédrale, première création du chorégraphe Boris Charmatz en tant que directeur du Tanztheater Wuppertal – sainte maison de Pina Bausch –, fait dans le monumental. Et, sauf pour y faire leur deuil, les fidèles de la prêtresse de la danse-théâtre peuvent passer leur chemin. Il est ici question de s’attaquer à l’héritage ecclésiastique plus que chorégraphique.
Courant, dansant ou chantant, une vingtaine de danseurs envahissent l’immensité de béton des usines Fagor, éclairées par des néons au plafond dans des tons dignes de vitraux d’église. Dans cette opulence de mouvements – proche de 10 000 gestes, un des tubes du chorégraphe –, de tableaux – cinq au total, entrecoupés de longues pauses nécessaires à la récupération des interprètes –, et de sons – chants, orgues, cloches –, c’est peut-être la séquence la plus sobre du show qui retient vraiment l’attention.
Il y plane soudainement un épais silence, propre aux édifices religieux. Seule, une danseuse entre la bouche grande ouverte, le regard vers les cieux. D’autres la rejoignent dans le même mutisme. Baver dans sa main, marcher sur les genoux, obstruer la bouche, avoir les jambes qui flanchent, faire « non » de la tête aussi vite que possible : ces gestes entravés ne peuvent que renvoyer aux sévices sexuels qu’ont infligés prêtres, diacres et évêques à quelque 216 000 victimes depuis 1950 (d’après un récent rapport de la CIASE). Mais il semble difficile à Charmatz d’adresser directement ce sujet de société : le tableau ne durera qu’un temps, sitôt emporté par le flot de courses, de sauts, de jets de bras et de jambes. Comme si cette Liberté Cathédrale, elle aussi, aimerait mieux regarder ailleurs et noyer ces violences dans l’intensité physique, la cacophonie des cloches et la dissonance des orgues. Mais l’écho, même lointain, même s’il ne dit rien de plus, a bien été entendu.
Liberté Cathédrale de Boris Charmatz a été présenté du 22 au 24 septembre aux Usines Fagor dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon
--> du 5 au 9 juillet au festival d'Avignon
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