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À l’initiative du Théâtre de La Colline, le collectif OS’O était invité à imaginer une création in situ dans le XXème arrondissement parisien. Pour ce triptyque citadin, l’équipe artistique a fait le choix d’explorer les alentours de la Porte de Bagnolet, zone encore relativement épargnée par la hausse fulgurante des prix au mètre carré. Pour assister au premier numéro de ces conteurs contemporains – l’inauguration d’un chantier immobilier –, il faudra s’asseoir sur des parpaings et des palettes. Les rats gambadent aux pieds des comédiens, les herbes folles envahissent le sol de cailloux. Impossible de deviner qu’il s’agit d’un décor sans apercevoir les quelques membres de la régie qui attendent discrètement dans un coin. Pour le second tableau, le collectif mène les spectateurs le long de trottoirs défoncés, sur lesquels des voitures transformées en habitations de fortune sont garées en file indienne. Devant une de ces voitures-cabanes, quelques chaises disposées en demi-cercle laissent deviner qu’une fiction est en cours. Abidias, un jeune personnage précaire et « acteur dans la vie » y a trouvé refuge. Il raconte sa vie de petits boulots, son incapacité à trouver un appartement. Le dispositif inventif fait résonner dans la rue un texte à la limite du documentaire. Un personnage entre dans le cadre : c’est la travailleuse sociale en charge de son dossier de logement. Le réalisme est presque total, moment de doute partagé dans le public. De la même façon, quelques instants plus tard, un enfant du quartier traverse le plateau, sans considération pour les limites invisibles de la scène. Les comédiens jouent le jeu, sur le fil. Pour le tableau final, le collectif OS’O prend de la hauteur sur le toit végétalisé de la piscine Yvonne Godard. Deux personnages hauts en couleur – une sans-abri et un trentenaire suicidaire – se rencontrent face aux baies vitrées illuminées. Le public les observe, assis sur des transats. Comme dans un amphithéâtre populaire, une famille profite du spectacle depuis son balcon alors que les voix des comédiens font écho contre les façades alentour. La nuit tombe, le ciel est violacé et le timing maitrisé. La magie s’opère par fulgurances au fil des détours du spectacle.


Malheureusement, celle-ci ne dure pas. À plusieurs reprises, les spectateurs – divisés en trois groupes – se croisent. Les saynètes jouées à la suite résonnent jusqu’aux oreilles de ceux qui sont déjà passés à la suivante. L’illusion est régulièrement brisée et face à la succession d’évènements rocambolesques, le charme n’est pas toujours au rendez-vous. Bouquet de bonnes intentions, la pièce égare son spectateur et l’enchantement promis laisse parfois place à la cacophonie. Une voix continue émerge pourtant de ces discours entremêlés. Il faut entendre les dynamiques d’exclusion qui fondent les politiques d’urbanisme depuis des siècles. Pour certains, elles impliquent de vivre dans sa voiture, dans une bicoque sous le périphérique ou sur le toit d’une piscine municipale.


Souvenirs du bitume 


Au carrefour des temporalités, la pièce se fait le réceptacle des mémoires du territoire. Un illuminé claudiquant surgit en pleine inauguration de la résidence savamment nommée : « Les Jardins de l’escapade. » Il clame dans un parler parisien du XIXe siècle son amour de la « zone », territoire de bidonvilles recouvrant autrefois ce que l’on considère aujourd’hui l’est parisien. Un peu plus tôt, un jeune architecte débordant de bonne volonté rappelait la mémoire du village rasé de Charonne qui coexiste avec celle des tours des années 70, la Giralda et les jumelles Mercuriales. Et puis, c’est au tour du « rêve de mixité des années 1980 » d’être piétiné. Le discours des acteurs de l’immobilier et des urbanistes ? De la poudre aux yeux. À chaque époque, le Paris populaire du nord-est semble reculer davantage. La violence de la relégation sociale est manifeste, et occupe le Boulevard de part en part. Dans son essai La Gentrification des esprits, la romancière et essayiste Sarah Schulman a cette formule : « Le bonheur gentrifié est toujours accessible en retour d’une forme de complicité avec l’injustice. » Pour la traversée de leur Boulevard Davout, les OS’O esquivent la passivité constitutive du phénomène pour faire face aux rapports de domination. Par l’enquête de terrain et sa restitution in situ, le collectif imprime dans nos cerveaux la cartographie sociale de l’arrondissement. À l’écoute de la liste des injustices nécessaires à l’érection d’une tour de logements flambants neufs, il y aura encore un personnage de promotrice vénale pour répondre, pleine de cynisme : « L’immobilier, c’est du compromis… » Sortir de ces deux heures en déambulation, avec une colère nouvelle qui nous habite.



 Boulevard Davout du collectif OS’O, du 28 septembre au 16 octobre au jardin Serpollet, Paris, dans le cadre du programme Hors les murs au Théâtre de la Colline

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