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Entré sans crier gare, un danseur glisse d’un côté à l’autre de la scène sans que jamais on ne puisse voir ses pieds, plongés, comme tout le bas de son corps, dans la pénombre ; dans un doux balancé de droite à gauche, ses bras nus ondulent lentement. Rejoint rapidement, quoique d’abord imperceptiblement, par un, puis deux, puis beaucoup d’autres, la scène prolifère d’interprètes embrassant le même mouvement sur un tempo proche d’un battement de cœur. Le regard pointé vers nous tout au long du spectacle, vêtus de costumes noirs dont la matière, semblable à du cuir, est pourtant très aérienne, les 19 danseurs du ballet de l’Opéra de Lyon n’auront de cesse de faire évoluer ce premier geste à coup d’infimes mutations et contaminations mutuelles.


Ne dérogeant pas à sa source privilégiée d’inspiration, le chorégraphe Christos Papadopoulos puise une nouvelle fois dans le monde naturel pour sa dernière création. Le déplacement d’un iceberg dans Larsen C (2021), celui des essaims d’oiseaux dans Ion (2018), le mouvement des vagues dans Elvedon (2016)… Le chorégraphe grec, originaire des montagnes du Péloponnèse, s’empare à présent du mycélium, qui donne son nom au spectacle. Ce que l’on nomme « champignons », silhouettes généralement composées d’un pied et d’un chapeau, ne sont en réalité que la partie visible de l’organisme, son appareil reproducteur. Sous terre, dans l’humus, le mycélium tisse tout un réseau de filaments blancs entrelacés qui – selon les espèces – permet la décomposition de matière organique, l’échange de signaux et de nutriments avec des arbres et plantes compagnes.


S’il s’inspire de la nature, Christos Papadopoulos prévient : « je ne fais pas de l’art écologique ». Le chorégraphe ne revendique pas délivrer un quelconque message qu’il reviendrait à nous, spectatrices et spectateurs, de déchiffrer. Il ne fait pas non plus de son art un commentaire ou une tribune sur les incendies et inondations meurtrières que connaît récemment son pays, en première ligne européenne du dérèglement climatique. Mais Mycelium induit un vertige. Ses interprètes, qui ont renoncé à leur technique strictement chorégraphique, se fondent les uns dans les autres pour produire une entité hypnotique en mouvement constant, enveloppée dans la bande son électronique de Coti K dont les nappes électroniques et les craquements rappellent l’acoustique d’une marche en forêt. Ces danseurs, devenus un peu moins humains, les yeux plantés dans les nôtres avec insistance, nous placent en témoins de l’existence d’une forme d’intelligence collective, complexe et symbiotique. Une organisation sociale précieuse, qui existe sur cette Terre et ne gouverne hélas pas notre règne, mais seulement celui des fungus.


> Mycelium de Christos Papadopoulos, les 22 et 23 septembre au Théâtre de Liège, Belgique


> Podcast « Alors on danse ? », replay de la rencontre avec Christos Papadopoulos animée par Léa Poiré à l'Opéra de Lyon

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