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Le noir, en premier lieu, le silence ou presque. Puis un lent crescendo bruitiste issu du monde réel avec force percussions sommaires, parasites urbains, rumeurs, klaxons, cris et sifflets. Des coups de cloche majeure marquent le compás comme ceux que dispensait Mafifa, figure mythique du carnaval de la Conga à Santiago de Cuba. Peu à peu, on comprend que les trois fantomatiques silhouettes sont celles du Colectivo Malasangre dissimulé derrière des bâches de tentes à arceaux. Tout sera donc danse du début à la fin de Qué Bolero o en tiempos de inseguridad nacional, plus d’une heure durant. Avec comme rares indications textuelles des échanges par courriel ou sms entre un fils et sa mère restée au pays dans lesquels il est question de sang, de maladie, de dialyse.


Peu à peu nous parviennent quelques signes visibles du carnaval. L’un des danseurs se change en meneuse de revue, porte beau le casque à plumes, façon Joséphine Baker aux Folies Bergère, Carmen Miranda dans un musical de Busby Berkeley ou Ninón Sevilla dans une rumbera mexicaine. Référence est faite au Tropicana, célèbre cabaret de La Havane dont est ici diffusé un morceau orchestral ainsi qu’une chanson d’Elena Burke précisément intitulé « Esta casa ». Cette maison, c’est à la fois le foyer familial du danseur expatrié et le club de légende où s’illustra la chanteuse et tant d’autres. Sans doute le moment le plus émouvant du spectacle.


Côté chorégraphie, le trio emprunte à la danse « pauvre » (au sens de l’arte povera) d’une Robin Orlyn et à l’agitprop d’une Lia Rodrigues (on pense à Encantado et sa banderole anti-Bolsonaro au final). Côté scène, John Deneuve assure une scénographie réduite à des bouts de ficelle et à une muraille en paille argentée – paroi d’un collage matiériste dans le dernier tableau. L’éclairage crépusculaire d’Anaïs Silmar permet quant à lui de distinguer des mouvements de danse serpentine à la Loïe Fuller obtenus par la toile de tente et le jeu de drapeaux comme on en voit dans les compétitions du Palio de Sienne.


Mais l’hommage à Ravel n’advient qu’en dernier acte. Le compositeur s’était inspiré de la musique cubaine en calquant son étude de Vocalise pour chanteuse sur une habanera, cette forme musicale cubaine. Le collectif remplace alors l’ondoiement habituel qui accompagne la composition nonchalante de Ravel par des spasmes sexuellement plus explicites. Une audace qu’il s’autorise dans cette version somme toute assez sage d’un point de vue formel.


>  Qué Bolero o en tiempos de inseguridad nacional du Colectivo Malasangre a été présenté le 21 mars au festival LEGS 2023 à Charleroi et Bruxelles ; le 6 avril au festival Amiens Tout-Monde ; le 13 juin à Latitudes Contemporaines, Lille

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