Que faire sur scène d’un texte contemporain, qui plus est d’un succès de librairie récent ? Lecture à voix haute ou geste de mise en scène ? Fidélité ou trahison ? Le jeune metteur en scène Hugues Jourdain s’y colle en adaptant Nom, autofiction à succès de Constance Debré, publiée en 2022. Son parti pris : disparaître derrière la narratrice et son texte. Sur scène, une chaise et quelques accessoires font théâtre. Victoria Quesnel campera donc son personnage dans le plus grand dépouillement. Un minimalisme revendiqué : ça sera le texte, rien que le texte.
Et le jeu, aussi. Pour livrer le récit d’un virage existentiel à 360°, la comédienne – vue chez Julien Gosselin, Pascal Rambert, bientôt chez Lorraine de Sagazan – opte pour une interprétation nerveuse. Dans son roman, Constance Debré fait le vide. Et tout doit disparaître. Son héritage socio-culturel d’abord : élevée dans la bourgeoise de gauche, elle est fille de journaliste et de mannequin, et petite-fille de Michel Debré, ministre sous De Gaulle et Pompidou et co-auteur de la constitution française. Son patrimoine immobilier ensuite. Son « rôle » de mère aussi, qu’elle met à distance. Et enfin : son métier d’avocate et même l’hétérosexualité. Seuls restent à bord : l’écriture, la nage et le sexe.
Comment rendre sur scène une telle mutation ? En se fondant dans le personnage et dans la langue de Constance Debré. Ici, aucun sentimentalisme ni affect. Cette logorrhée cynique, frontale, est délivrée sans interruption. Victoria Quesnel porte le souffle d’une écriture circulaire, collant à une quête inépuisable – d’un nouveau rapport au monde, aux lieux, aux autres, à son propre corps. Nom navigue à contre-courant entre les frontières mouvantes d’une identité – somme toute privilégiée. Car il est peut-être plus aisé de faire le vide quand on a grandi dans un environnement si abondant, de sacrifier son histoire quand elle a déjà été si bien écrite. Constance Debré – et ainsi Victoria Quesnel qui porte sa voix – ne demanderait-elle pas qu’on l’admire pour le courage de ses ruptures ? Des ruptures inabouties d’ailleurs, puisqu’elle n’échappe pas à ses déterminismes sociaux – son regard, son expérience.
Mais quelle plus-value théâtrale pour un tel texte ? Celle-ci est mince mais ferme. Ici, les mots capturent une transformation, et l’intensité du jeu, la simplicité de l’adresse leur donnent un nouvel écho. Hugues Jourdain s’efface derrière les mots de Constance Debré et l’épure de ses choix scéniques. Restent alors l’assurance d’une comédienne et la force d’un récit d’émancipation projeté sur scène avec une énergie sans fard.
Nom de Hugues Jourdain, jusqu’au 6 avril au Théâtre du Rond-Point, Paris
⇢ du 21 au 24 janvier 2025 à la Maison du Théâtre d’Amiens
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