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Trop de gens préjugent encore que l’opéra est quelque chose de long, de pénible, et d’allemand. D’autres – souvent les mêmes – vous diront que la musique baroque est stridente, pénible et française. Tant de préjugés que l’Opéra de Lille tente de déjouer en programmant David et Jonathas de Marc-Antoine Charpentier dans une mise en scène de Jean Bellorini, sous la direction musicale de Sébastien Daucé pour l’ensemble Correspondance. Mais tout d’abord, un point bible. David et Jonathan (Jonathas chez Charpentier), c’est l’histoire de deux jeunes garçons, juifs, dans la fleur de l’âge, dont l’amitié s'apparente à un amour fraternel – la première association catholique LGBT française, créée en 1972, en tire son nom. Le premier est le héros qui a vaincu Goliath, géant philistin ennemi de la tribu des Israélites. Le second est le fils de Saül, roi d’Israël. Ce même Saül, dans un accès de paranoïa attisé par Joabel, chef des armées et jaloux de la relation entre les deux « frères », accuse David de convoiter son trône. Ce dernier se voit donc contraint de rejoindre les philistins et leur roi Akis. Jonathan, meurtri par l’exil de son « frère », refuse de se battre contre le peuple ennemi et meurt lors d’une bataille, successivement dans les bras de Saül qui en meurt lui-même de chagrin, puis dans ceux de David qui devient donc roi d’Israël et dépressif.


Beaucoup de morts et quelques vivants rongés par le chagrin : dans l’opéra, on appelle ça un lundi. L’histoire est là, ne manque donc que la musique, qui arrivera vingt-sept siècles plus tard. On la doit à Marc-Antoine Charpentier qui, en 1668, met en musique le livret de François de Paule Bretonneau en réponse à une commande du collège Louis-le-Grand pour le spectacle de fin d’année de ses élèves. Initialement, l’opéra est complété par un texte théâtral intitulé Saül, perdu depuis. À la place, dans la version qui nous en est donnée aujourd’hui, l’auteur Wilfried N’Sondé a imaginé une ponctuation accompagnant la paranoïa et l’hubris du roi Saül, qui conduiront à la mort de son fils et à sa propre perte. Le David et Jonathas de 2024 se veut donc une réflexion sur le pouvoir donné à un homme et les désastres qu’il provoque au sein même des peuples qu’il a le devoir de protéger. Les victimes de ces barbaries sont ici dépeintes par des mannequins que manipulent solistes et choristes. Ces pantins ont le visage voilé jusqu’au final, lorsque le sol s’entrouvre et laisse apparaître des corps figés et alignés à l’image de l’armée enterrée de Xi’an, figurant les sacrifiés de la folie guerrière de Saül et Akis.


Le plateau vocal rend brillamment l’écriture ciselée de Charpentier, en particulier sur l’équilibre des voix dans les duos du quatrième acte – « vous me fuyez, toujours vous me suivez » – puis lors de la rencontre entre Saül (Jean-Christophe Lanièce) et Achis (Alex Rosen), prémices de l’affrontement repris par le chœur – « courons, courons, cherchons dans les combats ». La finesse de l’ensemble est sublimée par Gwendoline Blondeel lorsqu’elle prononce ses derniers mots avec une douceur à faire pâlir les plus passionnées des Isoldes : « Malgré la rigueur de mon sort, du moins, je puis vous dire encore que je vous aime. »


Côté orchestre, Sebastien Daucé dirige toutes manches relevées, moins pour signaler combien la tâche est ardue que pour dédramatiser l’œuvre. Le contraste entre la partition – quatre voix instrumentales écrites par Charpentier – et la complexité des harmonies, donne deux siècles de composition à parcourir en deux heures trente. Enfoncé dans son siège comme dans le canapé d’un ami, on profite alors comme on ne l’aurait jamais imaginé des basses de viole, violone et théorbe. Enfin, fait rare dans une fosse d’opéra : tandis que sur scène s’exalte le drame de la passion, les musicien.ne.s ont l’air franchement heureu.se.x de jouer ensemble. Remarquable et contagieux – l’inverse du strident et du pénible, en somme. 


Partant d’un matériau a priori abscons, Sébastien Daucé, Jean Bellorini et Wilfried N’Sondé donnent lieu à une grande pièce pleine d’envie, d’émotion et de rage. Rien n’y est en trop mais tout y déborde sur nos récits contemporains. Comme lorsque la reine des oubliées déclare à Saül : « Lorsque l’incompréhension devient prétexte à la méfiance, d’abord on s’invente un ennemi dont on anticipe les attaques, puis on l’anéantit pour se défendre – un rien justifie le crime ! ». Ça n’est pas l’opéra baroque qui est long et pénible, mais bien les hoquets de l’Histoire qui le sont.


David et Jonathas par Jean Bellorini a été présenté du 6 au 10 décembre à l’Opéra de Lille

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