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Une équipe de reporters perdus dans des territoires hostiles filment au plus près les conséquences de la crise climatique. Pendant ce temps, un couple occidental moyen profite de sa pause dominicale au son des cigales dans un intérieur confortable. Deux histoires vraisemblables qui s’entrecroisent sur le plateau, devenu décor mouvant, du Théâtre du Jeu de Paume. Avec Dimanche, la compagnie Focus et la compagnie Chaliwaté réunies ne disent pas autre chose que Jacques Chirac il y a vingt ans au IVe Sommet de la Terre : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » 27 Conférence des Parties plus tard, non seulement rien n’a changé – les actionnaires de Total se partagent des profits records et les milliardaires multiplient les allers-retours en jet privés – mais les dégâts sur les écosystèmes sont bien pires que prévus. Les rapports chiffrés paraissent trop abstraits, les documentaires alarmistes banaliseraient l’urgence ou ne concerneraient pas assez, les activistes écologistes seraient source de crispation dans l’opinion publique car trop caricaturaux. Dimanche, à destination des enfants et des adultes, ne propose pas de solution miracle mais envisage, avec les armes du théâtre, l’absurdité d’une telle passivité face à un mode de vie énergivore et qui, par conséquent, s’autodétruit.


Dimanche de la Cie Focus & Chaliwaté. p. Virginie Meigne



Aujourd’hui mémé est morte, pas le ventilo


La banquise se fissure, le cameraman tombe à l’eau. Sa caméra est repêchée par une ourse polaire affamée qui perd elle-même sa progéniture emportée au large. À la télé, les images de la fonte des glaces défilent entre deux cartoons, dans l’indifférence d’un couple attablé pour le petit déjeuner. Les ventilos tournent à plein régime, mémé suffoque et se débat avec son fauteuil monte-escalier qui débloque. À en juger par la poutre calcinée, la maison aurait déjà brûlée et n’en serait pas à son premier coup de chaud. Mais voilà qu’elle commence à fondre. La lampe se tord, la table s’affaisse, mémé trépasse au milieu des ventilateurs : pas de problème, on installe un petit autel au-dessus du fauteuil de la vieille ; on peut encore servir le café dans des tasses. À l’instar du couple en son foyer, les deux journalistes poursuivent le travail malgré la mort de leur collègue : elles filment à présent le cœur d’une tornade accrochées à l’échelle d’un hélicoptère, l’une des deux se fait emporter. Dans la maison, les fenêtres craquent, le cadavre d’un flamand rose est projeté à l’intérieur du salon. Pas de problème : on en fait un délicieux repas et on allume les chandelles. Que tout parte à vau-l’eau dans le logis n’empêche pas de boire une coupe de champagne. Plus le danger monte en intensité et interfère dans le quotidien du couple, plus celui-ci persiste dans son indifférence. En parallèle, notre reporter-cameraman-perchiste survivante tente de fixer tant bien que mal son matériel à des bouteilles d’oxygène pour filmer un tsunami, quand une vague de plusieurs mètres de haut se referme sur elle. L’eau monte, ensevelit la maisonnée qui dort, à peine perturbée par les poissons alentour. L’horloge du salon continue son tic-tac sous la mer, la caméra embarquée à bord d’un canoë sur des terres inondées n’a plus de batterie.





Féérie pour un massacre


Ni leçon de morale, ni culpabilisation. Dimanche ne pose pas de regard surplombant, celui-là même qui tend à favoriser la passivité plutôt que l’activisme, mais prend la scène pour ce qu’elle est : un miroir social dont les artifices mettent au jour des vérités obscènes. L’ingéniosité de la pièce, si elle ne réside pas tellement dans le scénario, repose sur sa scénographie : un décor « vivant », brillamment activé par les comédiens-marionnettistes, qui jongle avec les échelles et rythme un jeu d’acteurs clownesque. Que ce soit l’équipe de journalistes qui va « au cœur » de la catastrophe ou ce couple qui s’enferme dans ce qu’il reste de leur confort moderne et individuel, les deux pôles se retrouvent dans le refus de remettre en cause des habitudes héritées des Trente glorieuses. Ceux qui veulent voir pour montrer l’ampleur de la crise climatique ne recherchent finalement qu’à en produire une image spectaculaire. Et leurs destinataires, qui se voilent la face, avaleront l’info comme tout autre divertissement, sans s’apercevoir des conséquences dont ils font déjà les frais. La pièce quasi muette, où triomphe le travail plastique, sonore et lumineux, rappelle le génie burlesque d’un Jacques Tati. Dans Mon oncle, en 1958, le couple mis en scène par le cinéaste croit dur comme fer s’émanciper de la pénibilité du quotidien grâce à l’automatisation de leur univers domestique, sans se rendre compte que leur existence en devient grotesque et aseptisée. Aujourd’hui, les géants de la tech vendent les « maisons intelligentes et connectées » comme un horizon de bonheur. L’humour noir de Dimanche n’a pas à attendre 60 ans avant d’être dépassé par la réalité : des croisières à bord de brise-glace amènent déjà de riches touristes en Arctique pour constater la fonte des glaces…


> Dimanche des Cie Focus & Cie Chaliwaté, jusqu’au 17 décembre au Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence ; du 31 janvier au 18 février au Théâtre Les Tanneurs, Bruxelles ; du 15 au 17 mars aux 2 Scènes, Besançon


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