Si vous ameniez votre mère qui ne connaît rien à la danse contemporaine voir Elles disent, vous seriez peut-être embarrassé les premières dizaines de minutes où l’on voit débarquer un groupe de jeunes krumpeuses en brassière de sport, aux gestes exagérés. Après cette scène d’introduction entre parodie et malaise, la chorégraphie se veut moins caricaturale mais peine à sortir d’un effet général assez nébuleux. Sur scène, décor dépouillé : tapis de sol et grand rideau bleu. « Ça va être long… » pense votre maman, assise à votre gauche.
« On est gonflées quand même » clament les quatre artistes qui continuent de déplier un catalogue de gestes toujours plus loufoques. Les unes après les autres – on regrettera d’ailleurs un peu cet effet file indienne –, Adélaïde Desseauve dite Mulunesh, Manon Falgoux, Sophie Palmer et Nach font leur solo sur le plateau. C’est à peu près quand Mulunesh se trouve habitée par dix personnages à la seconde, contorsionnant son corps aussi bien que ses muscles faciaux façon gargouille, que l’on se dit que l’on n’a rien compris. Facétieuses et indomptables, les interprètes dansent comme on tirerait la langue. Débarrassées de toute envie de « bien faire », elles s’agitent de façon – parait-il – aléatoire, s’autorisant à ponctuer leur danse de références ultraprécises, seulement quand bon leur semble. La grande différence de ton entre le récit d’onanisme de Manon Falgoux et le flamenco explosif de Sophie Palmer ? Peu importe, la pièce est un dispositif : Nach invite trois artistes à se rencontrer sur scène, libres d’exprimer leurs danses si singulières, sans compétition. À ce titre, Elles disent n’est presque plus une pièce d’autrice mais quelque chose d’autre, davantage expérimental.
Avec sa précédente conférence dansée Nulle part est un endroit, Nach affirmait déjà son goût pour les mots. Comme dans la gestuelle du krump, les phrases de cette nouvelle création sont saccadées, les danseuses en mâchent la fin et les murmurent souvent, font de l’association de syllabes un moteur à idées. De l’aléatoire et l’absurde naît un vocabulaire unique et on s’enthousiasme de passer ainsi du potache à la poésie la plus ingénieuse. Encouragées par le groupe, les danseuses se laissent gagner par la rage, soufflent, râlent, jouissent, se noient dans les sanglots. Toujours complices, elles se disent des choses qu’on entend à peine, le public devient une présence presque accessoire, elles ignorent la foule comme elles refusent d’être soumises aux conformismes (de race, de classe ou de genre) que celle-ci charrie. On n'avait en fait vraiment rien compris. D’ailleurs, en sortant, on est bien content de s’être laissé prendre au jeu. Votre mère aussi : « C’est fou, on aura vu quatre spectacles en une heure ! »
Elles disent de Nach a été présenté le 12 janvier 2024 à la Ferme du Buisson, Noisiel
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