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Assis sur une chaise devant une pâte de farine et de sucre dont il espère la levée, un homme parle, baigné dans une lumière orangée qui tire vers un « jadis » vintage. En cette veille de fête des morts, il dit être seul. Pourtant dans son dos se tiennent, bien droites, trois jeunes femmes endeuillées. Pour lui elles tintent les cloches avec tendresse : souhaitent-elles lui apporter le sommeil qu’il attend ou l’attirer avec elles dans les limbes ? En un glissement imperceptible, le pittoresque de la scène bascule vers un ailleurs.


Pupo di Zucchero est l’adaptation d’un conte populaire sicilien issu d’un des plus vieux recueils européens, le Pentamerone de Giambattista Basile, publié à titre posthume entre 1634 et 1636 – les Frères Grimm s’en inspirèrent. Bien qu’elle charrie avec malice quelque chose des anciennes traditions du sud de l’Italie, Emma Dante attrape avant tout le profond symbolisme de ces histoires. Et si celles-ci ont traversé les époques et les géographiques sans rien perdre de leur pertinence, c’est sans doute par leur capacité à embrasser la complexité humaine avec une cruelle simplicité.


Il y a un élément de sorcellerie dans la façon dont Emma Dante suspend notre incrédulité de spectateur en une fraction de seconde pour nous emmener avec elle dans un territoire atemporel. Cela se joue sans doute dans les lumières de Cristian Zucaro qui donnent au corps une qualité statuaire en découpant leurs silhouettes sur fond noir ; ou dans l’attitude marionnettique des trois sœurs bougeant comme un seul corps automatisé ; ou encore dans les grimaces grotesques de la mère – mais cela n’explique pas tout. Lorsque la maison du vieil homme se peuple peu à peu des fantômes de sa vie – indissociablement morts et profondément vivants –, rien dans cette célébration étrange ne cesse d’être familier. Dans la pure tradition du genre fantastique, deux réalités coexistent au plateau sans qu’il nous soit demandé de choisir entre elles : le réveil des disparus, leurs chants et leurs danses sont tout aussi réels qu’ils sont le fruit de l’imagination d’un homme qui n’a plus qu’eux pour combler la profonde solitude de sa vieillesse. C’est en nous donnant à éprouver le retour possible des êtres aimés que ce petit conte apparemment nostalgique produit une décharge cathartique aussi cruelle, quoique réconciliatrice. N’est-il pas temps que nous apprenions à vivre avec nos morts plus qu’une fois par an à la Toussaint ?


> Pupo di Zucchero d’Emma Dante a été présenté du 21 au 25 mars au Théâtre des Célestins, Lyon. Du 8 au 18 juin au Théâtre national de la Colline, Paris

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