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Murs gris, costumes gris, valise grise. Pour certains, l’aéroport est un espace neutre de passage où le flux est roi. Pour d’autres, il devient un purgatoire aux règles kafkaïennes : qu’importe l’époque ou les raisons politiques, c’est la bureaucratie et ses petits protocoles dérisoires qui font autorité sur l’avenir. Bien qu’il floute progressivement le fil de deux histoires – son expérience très actuelle de la douane européenne, et celles d’individus cherchant à échapper à la persécution nazie – Amir Reza Koohestani n’avance aucune comparaison. Sa mise en scène, toute en épure, s’oriente vers une abstraction, sans lieu ni époque, où la loi, autrefois protectrice, devient une menace ; où le temps s’arrête dans l’attente ; où les murs voient et entendent.


Ici, l’ennemi n’est pas le kapo, c’est la structure : le tournage de vidéos en direct – procédé récurrent ces dernières années au théâtre – a moins vocation à déclencher l’émotion à coups de plans resserrés, qu’à révéler l’autorité omniprésente des dispositifs de surveillance. Ici, les hommes sont moins des personnes que des statuts : alors les actrices changent de rôle dans des fondus enchaînés qui colorent la pièce d’une aura aux teintes surréalistes et rappelle, en clin d’œil, quelque chose de l’expérience de la lecture quand, parfois, les personnages de fictions s’invitent dans nos vies. La douanière autoritaire devient Marie, l’héroïne d’Anna Seghers à la recherche désespérée de l’homme qu’elle aime ; l’avocate commis d’office est aussi le héros débrouillard de Transit ; et cette personne croisée à l’aéroport de Munich, dont on a trahi les promesses, pourrait tout aussi bien vivre dans la France de 1944.


Avec lenteur et sans effusion de sentiments, la pièce avance vers sa résolution. Contrairement à beaucoup d’autres, Amir Reza Koohestani quittera le purgatoire et rejoindra son lit, à Téhéran. On sort de là un peu décontenancé, avec la sensation étrange d’avoir ressenti trop peu de choses face à la violence absurde du dispositif. Mais n’est-ce pas là précisément ce qui est recherché ? Soucieuse de légiférer sur la forme et la longueur des stylos autorisés, la règle administrative reste aveugle et sourde aux histoires des hommes. Froide, implacable, c’est à cette indifférence inhumaine, que l’on vient de goûter.



> En Transit d’Amir Reza Koohestani a été créé au Festival d’Avignon 2022. Du 8 novembre au 1er décembre au Théâtre de l’Odéon, Paris ; du 25 au 27 janvier au Maillon, scène européenne de Strasbourg, dans le cadre du Focus Espaces d'exil ; du 7 au 10 mars au TNB, Rennes ; les 15 et 16 mars au CDNO, Orléans