Elle n’a pas l’air nette, cette bande-là. Avant même que la lumière ne se fasse sur scène, un cortège de bruits précède sa venue : soufflements, chuchotements, gloussements espiègles. Des spots d’une blancheur glaçante les révèle alors : quatorze visages nous font face, menaçants. Des capes noires dissimulent leurs corps, certains à genoux, d’autres debout. Leurs cous se tordent quand leurs yeux sondent la salle – comme des bêtes sauvages à la recherche d’une proie.
En norvégien, « folka » désigne « les gens ». Pourtant, difficile de savoir si ces figures-là sont animales, humaines ou mécaniques. La bande son, martiale et nordique, leur donne les airs d’une tribu d’un autre temps. Leur uniforme ne les rattache à aucune culture : une jupe noire et un t-shirt blanc surmonté d’un harnais de cuir. Leurs mouvements sont rapides, saccadés, presque violents. Leurs articulations sont à deux doigts de rompre, mais leur visage ne trahit aucune douleur ni la moindre émotion. La tendresse qu’iels se portent les un·es aux autres – une main sur l’épaule, un corps soutenu – parait feinte, calculée. Aucune trace de care ici. Seulement des gestes chirurgicaux et une chorégraphie au cordeau.

Notre troupeau ne se déplace qu’en un bloc volant de part et d’autre du plateau. Un membre s’en détache parfois, gisant au sol un moment avant d’être ravalé par la horde. Si les dynamiques individu/collectif sont un leitmotiv bien connu de la danse contemporaine, la vision qu’en livre Marcos Morau est bien sombre. Les folkane sont d’aucun soutien. Peut-être protègent-ils, mais toujours moins qu’ils n’ordonnent et contraignent. Plus tard, à genoux au sol et en triangle, les danseur·euses répètent les gestes d’un gourou en tête de cortège. Iels applaudissent, supplient, agitent les bras dans un rituel qui frise le ridicule. Car chez Morau, l’anxiogène n’empêche pas l’humour et le sarcasme. Comme dans cet autre tableau à l’ambiance pastorale : la troupe encore à genoux se relève au son des cloches. La voilà troupeau de moutons guidé par un berger. Le groupe déshumanise, comprend-on. Et les interprètes auront beau jouer les derviches parmi des points lumineux pour s’en délivrer, ils n’en demeurent pas moins une armée soumise à quelque autorité. Un postulat que Marco Morau soutient avec un sens éclatant de la forme et du mouvement.
Folkå de Marco Morau a été présenté les 7 et 9 mai en collaboration avec le Ballet de Lorraine à l’Opéra de Lorraine, Nancy
⇢ du 13 au 16 mai à la Maison de la Danse, Lyon
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