Demi-jour et demi-nuit se profilent côté cour sur un corps décharné vêtu d’une robe en guenille. Son crâne dégarni en impose et se prolonge d’une extension capillaire dissimulant sa nuque. C’est Maro en personne, délégataire de la tradition du butô, et connu du public pour ses apparitions dans le diptyque Kill Bill de Quentin Tarantino. Le revoilà en contexte scénique, marchant à pas comptés, les bras nus, réduit à une ombre. Ou plutôt à un double de lui-même puisque nous l’avons connu plus pavanant. Une trouvaille visuelle d’envergure shakespearienne le confronte à son image en miroir au moyen d’un ko-omote, masque issu du théâtre nô. Le solo se fait soudain numéro cabaretier, clin d’œil probable au phalanstère d’Hijikata, berceau du butô dont Maro fut longtemps l’un des hôtes. Par illusion d’optique, les lumières entretiennent la confusion entre homme et fantôme. Une languette rouge relie alors Maro à son masque, et c’est un baiser sans fin.
En centre scène, une piscine aux bords mordorés. La bête de perf’ François Chaignaud en émerge changée en blondin bambin, cheveux plaqués à l’antique, torse brillant couvert de gouttelettes et paillettes, bouche bée surlignée de rouge à lèvres. Ses yeux écarquillés par l’effroi clignotent en rythme, ses petons s’agitent en un clapotis – il esquisse un sourire. Une fois sorti des thermes, il livre une de ses pantomimes dont il a le secret. Paré, Maro le rejoint comme attendu. Sa tête est couverte d’une couche de plâtre, emperruquée de jaune tel un interprète de Kabuki sous une crinière de lion. S’engage alors un concours de charme entre le giton et son aîné. Allez savoir qui aguiche l’autre, l’envoûte, l’apprivoise ou le dompte. Une marche du gradin derrière le bassin dissimule au spectateur des actes qu’il peut s’imaginer impudiques – quelque gâterie orale à tour de rôle. Mais ce n’est là qu’un subterfuge pour un changement de costume : revoilà Chaignaud en corset doré, équipé d’un micro HF.
Tambour kodo, clavecin et concerto baroque : le théâtre fait place à la danse et à la musique. Pour justifier le titre plus que pour répondre à un besoin pressant, les deux machos font mine de se soulager dans l’eau pure de la grande cuvette. Mais pas question de se la jouer crûment ou crânement façon Jérôme Bel dans Jérôme Bel. Burlesque au sens large du terme, le duo reste dans le spectacle aussi culotté ou déculotté soit-il. La farce vire alors au rituel SM : Maro joue le Bartabas en tirant son alter ego par les lacets le corsetant ; la sculpture rocheuse, proue de la galère du cirque antique, se brise en six morceaux ; et Chaignaud de pousser la vocalise – à savoir « Mignonne, allons voir si la rose », le tube de Ronsard. La sono boucle le spectacle avec un air fameux de Nino Rota immortalisé par Fellini dans 8 ½, une fanfaronnade qui se propagera dans le public.
> Gold Shower de François Chaignaud et Akaji Maro a été présenté du 12 au 15 avril au Théâtre National de Chaillot, Paris
Lire aussi
-
Chargement...