Solennels, les anges de l’apocalypse sonnaient leurs trompettes. Il y a quelques minutes encore, la pièce commençait dans l’obscurité, une lueur éclairant les silhouettes tout juste perceptibles de trois sacqueboutiers sur un nuage en hauteur. Puis la lumière a doucement gagné le plateau, révélant les formes étranges et changeantes qui en composent la scénographie : un paysage minéral aux formes organiques, entrailles ou grotte souterraine. Dans ce ventre terrestre, deux créatures chthoniennes se sont éveillées lentement. Une aura de mystère nimbe la scène lorsque Nadia Larcher, écorchée inquiétante, entonne le classique Vidala d’Atahualpa Yupanqui. Le public, captivé, retient son souffle.
Dès ces premiers instants, l’objet d’Último Helecho se révèle : célébrer le répertoire musical sud-américain et les imaginaires qu’il charrie. En hommage à ces traditions orales où la danse n’existe pas sans le chant, Nina Laisné et François Chaignaud pensent une forme hybride dans laquelle musique et mouvement viennent des mêmes corps. L’univers flamboyant du baroque hispanique est partout : dans la lumière chaude et la pénombre, dans les perles rouges et ces viscères de pierreries qui transforment les costumes en chair à vif. Un simple contour de silhouette dans l’obscurité suffit à capter notre attention, esquissant de troubles créatures qu’on croit toutefois reconnaître : des ermites, des figures de tarots, un faune aux bottes immenses ou encore de sombres prophétesses. Au fil de la pièce, les corps dansants se font sonores et la présence des musicien·nes toujours plus chorégraphique, leurs instruments traditionnels – saqueboute, bandonéon – intégrant explicitement l’écriture des gestes en scène. Le livret musical sautille habilement d’un chant catalan du XVIe siècle à des zambas et vidalas – courants musicaux et dansés d’Argentine ou des Andes –, en passant par une reprise hispanophone d’un morceau du célèbre Brésilien Chico Buarque. Alors que la lumière recouvre enfin tout le plateau, la scène recompose un bal populaire dans lequel la danse entraîne son monde jusqu’à un éblouissant climax de claquettes argentines. L’audience, applaudissant à tout rompre, reprend son souffle.
Une chose précieuse se joue ici : la tension d’une rencontre entre des mondes éloignés. Dans cette poétique de la relation, le faste des grandes formes théâtrales européennes se teinte d’influences à la fois plus terrestres et cryptées, puisées dans les traditions vernaculaires. Les chansons racontent les cycles du vivant, ancrées dans un rapport humble à la nature comme à la mort. Les formes, pourtant si familières, se dérobent et les images remuent l’inconscient, nous reliant à quelque chose de très ancien. Último Helecho – « ultimes fougères », titre emprunté à la péruvienne Chabuca Granda dans un morceau où elle dit se laisser recouvrir par ces plantes de sous-bois – célèbre la beauté des musiques populaires autant que leurs modes de transmission ancestraux et indisciplinés. Des petits foyers de résistance qui ont su traverser le temps et définir d’autres manières d’être au monde : un rhizome de fougères entrelacées.
Último Helecho de Nina Laisné et François Chaignaud a été présenté les 19 et 21 juillet dans le cadre du festival Impulstanz au Volkstheater, Vienne (Autriche)
⇢ le 9 septembre dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon au Château Rouge, Annemasse
⇢ les 17 et 18 septembre dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon à l'Opéra de Lyon
⇢ du 1 au 3 octobre en co-réalisation avec Musica et Pole-Sud, au Maillon, Strasbourg
⇢ le 5 octobre dans le cadre du festival Musica à La Filature, Mulhouse
⇢ du 28 au 30 novembre dans le cadre du Festival d'Automne au Théâtre de la Ville, Paris
⇢ les 12 et 13 mars 2026 au Théâtre National de Bretagne, Rennes
⇢ les 16 et 17 mars à la Comédie de Clermont-Ferrand
⇢ le 9 avril au Tandem, Douai
⇢ les 20 et 21 mai au Quartz, Brest
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