Scène de théâtre ou cour de récré ? À voir batifoler les cinq comédiens et comédiennes réunis par Gwenaël Morin dans les Jardin de la rue de Mons, on pourrait s’y tromper. Après Le Songe l’année dernière, le metteur en scène de la compagnie Théâtre Permanent retrouve les arbres et les vieilles pierres qui bordent la Maison Jean Vilar et poursuit son cycle intitulé Démonter les remparts pour finir le pont. Dans ce second volet, il s’attaque non pas à un texte dramatique mais au Don Quichotte de Miguel de Cervantès, monument de la littérature espagnole.
Dès la première phrase, Marie-Noëlle donne le ton : texte sous les yeux, la narratrice dresse un portrait facétieux, bardé d’ironie et de nonchalance, de l’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, de son fidèle destrier Rossinante – premier des canassons – et de sa bien-aimée Dulcinée du Toboso – paysanne pas farouche mais vigoureuse. Une fois les présentations faites, la joyeuse bande se lance à l’assaut de quelques épisodes choisis parmi les plus fameux du roman, où la fiction est mise en pratique et le réel, à l’épreuve.
Joyeux bordel à jardin
Sous les traits de Jeanne Balibar, le chevalier n’a plus une triste figure, mais une mine friponne, espiègle, courroucée et rêvasseuse. Entrée en scène à toute berzingue pour frapper une planche à coups de marteau, la comédienne ne tarde pas à troquer ses tongs pour des baskets de ville, passer une armure en carton sur sa longue robe fleurie et empoigner une lance en bois surdimensionnée. Vociférant après sa Dulcinée ou fonçant sur les moulins à vent – confondus avec des géants – elle incarne un Don Quichotte fougueux et passionné qui, sous l’emprise des romances chevaleresques, trouve au théâtre les moyens de transformer le réel à vue d’œil.
Entraînés à sa suite, les personnages rencontrés au gré de ses folles aventures (portés avec panache par Thierry Dupont et Léo Martin) contribuent, bon gré mal gré, à l’avènement de cette parole performative : un aubergiste, pris pour un châtelain, célèbre l’adoubement mystique du chevalier lors d’une veillée d’armes dans un latin de piètre cuisine, tandis qu’un jeune garçon battu par son maître fait les frais du secours que lui porte le chevalier. Summum d’ironie juteuse : l’autodafé de la bibliothèque de Don Quichotte, où un docte curé à la bonne foi douteuse épargne à quelques églogues et romans de chevalerie d’être balancés au fond du jardin. Au fil des épisodes choisis, le fidèle écuyer Sancho Panza passe presque inaperçu.
Au-delà des running-gags loufoques, la mise en scène repose encore sur la complicité du public. Celle-ci se tisse par touches d’ironie – lorsque Marie-Noëlle traduit le parler romanesque et moyenâgeux du chevalier errant – mais aussi par contribution directe de l’assistance – pour crier à la truitelle, mimer des moulins, ou figurer des filles de joie prises pour des gentes dames. Le pari est donc à double-tranchant, car il n’est efficace que si l’on se laisse prendre au jeu d’un imaginaire en roue libre et souvent décousu. S’il faut donc s’accrocher pour entrer dans l’univers de Gwénaël Morin, l’extravagance du Quichotte lui va comme un gant.
Quichotte de Gwénaël Morin, du 26 septembre au 12 octobre à La Villette, Paris
⇢ du 15 au 18 octobre, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
⇢ les 7 et 8 novembre, Malraux Scène nationale de Chambéry Savoie
⇢ les 14 et 15 novembre aux Salins, Martigues
⇢ du 20 au 23 novembre au Théâtre Saint-Gervais, Genève (Suisse)
⇢ du 26 au 28 novembre à La Filature, Mulhouse