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Que va-t-il advenir de nous autres, humains soit-disant civilisés ? Quel sort nous réserve le réchauffement climatique ? Allons-nous tous cuire à petit feu dans les prochaines décennies ? La permaculture doit-elle prendre le pas sur la culture ? Doit-on sacrifier le confort au nom de l’écologie ? Et le théâtre dans tout ça, a-t-il seulement un avenir ? Ces questions brûlent toutes les lèvres, a fortiori celles des plus précaires. Seulement voilà, tout le monde a beau pérorer sur l’urgence écologique, les actes ne suivent pas. En proie à la névrose d’une apocalypse imminente, nos Robinsons de pacotille (Thomas Scimeca, Anne-Elodie Sorlin, Maxence Tual, Lola Blanchard) jouent les démissionnaires et nous soumettent à l’épreuve d’un “théâtre décroissant”. En moins de deux, la satire fait mouche. On se reconnaît forcément dans ces personnages en mal d’utopie, s'accommodant tant bien que mal de leurs lâchetés ordinaires. Le quartet – qu’on rebaptiserait bien Gangue of Four - condense en deux heures toutes les vicissitudes de la vie contemporaine, tiraillée par des désirs contradictoires.


Tandis qu’Anne-Elodie scie des planches en sifflotant sur du rocksteady, Lola trimballe des bidons d’eau de bas en haut des gradins. Chef de meute aux principes inflexibles, Maxence procède quant à lui à l’inspection des travaux. Pendant ce temps, le cul posé sur des toilettes sèches et le smartphone vissé à l’oreille, Thomas tente de négocier avec son agent un cachet décent pour son prochain tournage. Pris la main dans le sac, le voilà tancé par Maxence (« C’est pas ça la vraie vie, Thomas ! ») qui l’exhorte à couper les ponts avec le showbiz. La seconde d’après, il lui confisque son portable pour le jeter à terre et le réduire en miettes à coups de talon et de manche à balai. S’ensuit le récit d’une colique dantesque dont les protagonistes ne sont autres que Roselyne Bachelot et Anne Hidalgo. Cette scène d’ouverture donne le ton : le comique - franc et assumé - est ici libéré du cynisme ricanant qui lestait certains spectacles des Chiens de Navarre, où l’on avait parfois l’impression d’assister à un spectacle du Splendid revisité par Ruben Östlund. La provoc renoue cette fois avec une forme de candeur, pour ne pas dire de puérilité. Un retour aux sources qui célèbre aussi leurs retrouvailles sur scène, trois ans après l’écriture de la pièce dont la pandémie a, hélas, endigué la diffusion.


Burlesque anarchique


Tout tourne ici autour de la défécation et de la régression, suivant les règles d’une autarcie où freudo-marxisme et lutte des classes trouvent leur résolution dans la gangue originelle. Après l’oléoduc et le gazéoduc, voici donc le « merdoduc », destiné à transformer merde et pisse en source d’énergie électrique. Toute comparaison avec l’installation Cloaca de l’artiste belge Wim Delvoye n’a rien de fortuite : le merdoduc en est son clone inversé, façon arte povera du futur. Disposée en fond de scène, la machine est censée alimenter en premier lieu les éclairages du théâtre. Malgré les incitations à se soulager adressées aux spectateurs, c’est la panne sèche au beau milieu du spectacle et la salle se trouve plongée dans le noir, donnant lieu à une parade verbale d’anthologie. Et ça continue de plus belle, sans jamais que le rythme ne flanche. Anne-Elodie convoque Prométhée, une soirée pizza vire à la foire d’empoigne, la tempête fait rage à coups de ventilo, le singe de 2001 surgit des coulisses, Hamlet plastronne en roue libre, un remake du Soulier de Satin s’improvise avec les moyens du bord…


Farce no future à l’humour bête et méchant, le spectacle dézingue à tout va : start-up néolibérale et bien-pensance “de gôche”, convoitise économique et révolution de salon, boomers à la ramasse et orthodoxie woke. On retrouve ici tous les éléments d’un burlesque anarchique qui n’épargne rien ni personne, à commencer par les comédiens eux-mêmes. Le quatuor s’approprie le plateau et les gradins comme un terrain de jeu partagé avec le public, où la scatologie se fait l’alliée de la poésie. Le rire emporte tout sur son passage, jusqu’à un épilogue où le spleen reprend le dessus. L’extrait d’un entretien avec l’anthropologue Jean-Pierre Vernant, manière de requiem pour Gaïa, est sobrement scandé par Lola. La scène est nue, le monde se meurt et l’on retrouve la grâce d’une parole lucide. Sorti de nulle part, un invité-surprise (Philippe-Emmanuel Sorlin, frère d’Anne-Élodie Sorlin) se retrouve à errer sur scène, marmonnant une ultime ritournelle (« La mort est mystérieuse ») avant remballage et fin du monde annoncée. À moins que ce soit la retraite anticipée ? Qu’on ne se laisse pas abuser par la tonalité graveleuse des quatre larrons : on a beau être dans la merde jusqu’au cou, on peut avoir de l’or entre les mains.


> Jamais labour n’est trop profond de Thomas Scimeca, Anne-Elodie Sorlin et Maxence Tual, du 18 au 22 avril au Théâtre 13, Paris

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