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Sus à l’anthropocène ! Pendant trop longtemps la culture occidentale n’a attribué de valeur qu’au monde humain. Une conception que la crise écologique a rendu inepte. C’est une idée plus réaliste qui tend à la remplacer : nous ne sommes qu’un élément parmi d’autres dans un tout comprenant aussi les non-humains. Comment ce courant de pensée s’est-il traduit dans l’histoire de la danse occidentale ? Le post-anthropocène a-t-il son langage chorégraphique ? C’est l’horizon de pensée de Danses non humaines, co-création du chorégraphe Jérôme Bel et de l’historienne de l’art Estelle Zhong Mengual. Après une forme déambulatoire au Louvre, voilà le spectacle repris en salle et questionnant le même corpus sans réduire sa résonance.

 

Et la partition est soigneusement curatée : des extraits de pièces d’Isadora Duncan, Loïe Fuller, Pina Bausch ou Xavier Le Roy. Quelles stratégies, conscientes ou non, ont engagé ces jalons de la danse occidentale pour représenter le non-humain ? Quelles formes, quels emprunts à l’animal, au végétal ? Le corpus proposé par Jérome Bel est naturellement subjectif et non exhaustif. Il met en lumière un travail sur l’image en mouvement proche de l’inconscient, donnant vie à des représentations jusqu’alors invisibles. Il en donne une lecture critique en sept tableaux dansés, ponctués par les commentaires de la chercheuse Estelle Zhong Mengual – la comédienne Stéphanie Aflalo la remplacera en tournée. Une caution universitaire qui donne au spectacle sa forme résolument discursive, par souci de lisibilité des enjeux. 

 

Mais l’exposé s’amuse à illustrer ou à se contredire dans un même geste. Comment danser le non-humain sans l’imiter ? Comment ne pas l’assujettir en le représentant ? Ou ne pas le circonscrire à l’archétype romantique qu’on lui a attribué ? Du Lac des cygnes à Fuller, le chemin parcouru est significatif. La marche des saisons dans Nleken de Pina Baush se pare d’un sens nouveau à l’aune de la crise climatique. Mais c’est une pièce récente, Extinction room du chorégraphe roumain Sergio Matis, en 2019, qui s’avère le plus en phase avec les préoccupations contemporaines. Celle-ci traduit une prise de conscience écologique dans une grammaire chorégraphique d’une rare inventivité. Il ne s’agit plus de singer les non-humains mais d’approcher et traduire leurs formes de vie, pour beaucoup disparues ou sur le point de l’être. 


En parcourant l’héritage de la danse occidentale, Jérôme Bel continue de flouter la notion d’auteur. Ce n’est plus un simple chorégraphe mais un historien à la subjectivité revendiquée, engagé dans un programme de recherche-action. Et il sait mener une telle démarche sans lourdeur grâce à son goût ludique du savoir. Sous l’apparente simplicité de son dispositif, c’est tout un réseau associatif figural qui s’agence. Y apparaissent des images qui n'enferment rien mais se propagent en équivalences ou en ruptures. Celles-ci se plient et se déplient pour voiler la représentation et aiguiser nos sens. De quoi faire passer un cap à notre conscience verte ?

 

Danses non humaines de Jérôme Bel et Estelle Zhong Mengual, jusqu’au 30 mars 2024 au CND, Pantin


les 10 et 11 décembre 2024 à la Maison de la Danse, Lyon

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