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Dans la pampa tarbaise, les bandits sont pittoresques, les traditions régionales règnent, le truandage remplace le travail, et les esprits rôdent. C’est dans ce paysage qu’a grandi Jonathan Capdevielle, figure de la scène contemporaine, et qu’il transpose dans Saga, geste scénique précis au récit fragmenté. Des scènes croustillantes qui ont marqué son adolescence de geek introverti, il tire une tragédie de bric et broc, prise dans un théâtre statique mais hanté. 


Saga dépeint le milieu social rural, limite gitan, dans lequel tu as évolué, en évitant le mépris social. Il n’y a jamais eu de rupture entre toi et tes origines ? 


Aucune. Dans la pièce, je pose un regard tendre, celui d'un enfant qui était entouré par des personnages hauts en couleur. La pièce se base sur les observations du gamin que j’étais, les faits y sont bien sûr un peu déformés, on exagère toujours ce que l’on a pu voir. Une critique de la pièce prétend que je m'attaquais à l'homophobie et que je me moquais de mes origines ; pourtant, c'est tout le contraire. On dirait que le journaliste a interprété les rires du public à sa manière.


On sent d'ailleurs qu'il n'y avait pas tant d'oppression morale que ça dans cet environnement ?


Tout à fait, s'il y a souffrance, elle ne vient pas de là. Il n'y avait pas vraiment d'homophobie, tout se mélangeait, les gens se toléraient parfaitement. On le voit dans le personnage du gérant de boîte gay dans la pièce, dont je récupère le signe de la boucle d'oreille qui catégorisait les homosexuels. C'est plus un travail sociologique que je fais autour de ça.


Ma sœur et son mec m'ont éduqué avec une extrême liberté mais aussi avec certaines limites. Vers 12-13 ans, je me retrouvais avec eux à regarder des films d'horreur, comme Freddy, et même des pornos du type Blanche Neige et les 7 mains, c'était une sorte d'éducation sexuelle avancée ; qui n'a peut-être pas fonctionné d'ailleurs, ils auraient peut-être préféré que je sois hétérosexuel.


Comment as-tu reconstitué et sélectionné tous ces souvenirs qui composent la pièce ?


Ça a été un travail très précis, qui porte sur mes souvenirs de 11 à 17 ans durant les années 1990. J'ai interviewé ma sœur et j'ai réuni environ 60 heures de films de famille à partir de vieilles VHS d'époque, des journées à la plage par exemple. Je me suis replongé dans l'ambiance, dans cette manière qu'on avait de se parler en famille. Ensuite je me suis mis à écrire intensément alors que, normalement, je ne travaille qu'à partir de textes. J'ai choisi des souvenirs qui ont marqué une étape : quand il tombe amoureux de son copain, ou l'expérience du banditisme qui avait quelque chose d’exctitant. Je voyais passer des gangsters, des gitans. Une fois j'avais joué avec des paquets de Reinitas que ma sœur et son mec rangeaient soigneusement, et j'en avais perdu un. Je me suis fait gravement engueuler, et j'ai compris peu après qu'ils cachaient des trucs dedans. J’y ai aussi un peu participé moi-même. Comme c’est mentionné dans la pièce, je signais des chèques et j’étais conscient de ce que je faisais. J’ai eu pas mal de cadeaux aussi, mon beau-frère nous habillait pour l'été en nous disant « on a eu beaucoup de bons de réduction ces derniers temps… »


Curieusement, tu n'as pas dit « mon copain » mais « son copain » quand tu parlais de tes souvenirs, comme s'il ne s'agissait pas de toi dans la pièce. Pourtant, tes solos sont autobiographiques, qu'est-ce que cela provoque de synthétiser et d'exposer ainsi son propre parcours ?


C'est un sacré lapsus oui. Il y a comme une étape consciente de mise à distance, je n'y ai mis aucun pathos. J'évite le côté uniquement personnel en donnant des points d'accroche extérieurs, en créant des liens avec l'histoire de cette région, la notion de danger, et tous les différents sujets abordés. Le fait de jouer un gamin instaure une distance très étrange, un inconfort, une fragilité, mais j'ai aussi décidé de traverser tous les personnages qui ont été autour de moi, de ne pas me focaliser. C’est comme si je me mettais à côté de moi-même, durant le spectacle j’apparais et je disparais régulièrement, comme si je réfléchissais à ces mémoires sur l’instant. Il y a toujours un effet boomerang quand on se replonge dans sa propre vie.


Étais-tu déjà exposé au théâtre dans ta jeunesse ?


Finalement oui, car ma sœur est une grande actrice dans le fond. Quand je l'ai interviewée, j'étais déjà spectateur d'un truc. Le fameux monologue final de la pièce, elle me l'a vraiment fait comme ça. Mon entourage a aussi participé à ma formation. S'il y avait un problème d'argent, ils me finançaient. Mon beau-frère m'amenait toujours au théâtre en Mercedes, en me répétant : « quand tu seras une star à Paris, tu viendras me chercher en limousine ! » Je faisais aussi beaucoup d'imitations quand j'étais jeune, j'animais les mariages en reprenant des sketchs de Muriel Robin ou d'Elie Kakou. Si j'avais été chopé par le privé, j'aurais fait du one-man-show, et j'aurais été Danny Boon, ou j'aurais fait la pute dans des pubs pour le Crédit Lyonnais.


Tu as joué le spectacle à Tarbes, comment les gens de ta famille ont-ils réagi ?


Les plus jeunes ont adoré, mais ça a coincé auprès de certains adultes qui se sont sentis un peu heurtés. Pourtant je les avais bien mis au courant, ils savaient que je travaillais là-dessus. Il y a également eu un petit différend légal sur la présence de certains noms, qui s’est réglé par la suite. 


Dans tes pièces, comme dans celle de Gisèle Vienne, tu uses de poses statiques prolongées. Quel genre de tension dramatique espères-tu créer avec ce procédé ? 


Il s'agit de matérialiser la mémoire sur le plateau, d'en retrouver le rythme, d'où ces poses, ou ces mouvements très lents. C'est comme ce morceau de Timbaland qui passe au ralenti dans la pièce, comme une image floutée qui s’éclaircit. Au début on est perdu dans un amas de mémoires, puis des personnages émergent, se rassemblent. La partition physique est précise, les placements sont très étudiés. Cette idée m’est venue d’un cours de Pierre Joseph que j’avais suivi quand j’étais jeune. En 1993, il nous avait fait participer à une de ses expositions, les Personnages à réactiver, où l’on devait rester pendant des heures dans la même position. Moi j’incarnais un cow-boy mort. Pierre a vu la pièce d’ailleurs, il s’est dit très touché et m’a envoyé des photos de l’exposition à l’époque.


Saga est drôle parce qu’il transpose un univers très rustique dans le cadre très abstrait du théâtre contemporain, le décalage est voulu je suppose ?


Clairement, sinon j’aurais fait les Deschiens ! Je voulais des narrations différentes et simultanées, cette division entre ce que tu regardes et ce que tu entends. On convoque des gens qui ne sont là que par les voix, on fait même parler les morts.


D’ailleurs, es-tu resté superstitieux depuis cette jeunesse passée parmi des gens croyant aux esprits ?


Absolument. D’ailleurs, lors de la première du spectacle, il y a eu plein de problèmes techniques : à la fin, l’écran n’est pas descendu, et un micro nous a lâché sans raison. À l’époque il y avait une grosse mode autour du spiritisme, ma sœur et son mec faisaient des séances avec un gourou, beaucoup d’évènements étranges se produisaient, ça rendait l’endroit encore plus surréaliste. Ma sœur croit toujours très fort à ces histoires d’entités.


Cette montagne imposante et incongrue sur le plateau, c’est une référence au Pyrénées ?


La scénographe Nadia Laura a imaginé ce qu’elle décrit comme une « imposante sculpture animale-montagne en fourrure, sorte de gardienne de la mémoire. » Je n'ai pas voulu de plateau nu cette fois-ci et la montagne de Nadia est me permet de recréer une sorte de mythologie cheap. Elle représente aussi un tas de fumier - la mère de Gisèle Vienne me disait souvent : « les plus belles fleurs naissent dans un tas de fumier. » L’idée de la montagne, de la matrice, fait partie domaine poétique et du rêve. Elle rejoint aussi cette idée du muséum d’histoire naturelle présente dans la pièce, avec le guide. Comme le « Se Canto » occitan, c’est une manière de représenter la culture locale, les traditions, qui créent une communion très forte, et qui se perdent également. On a tous un rapport « je t’aime je te hais » avec les endroits d'où l’on vient, c’est toujours facile ou tentant d’y retourner. En ce qui me concerne, je retourne souvent à Tarbes.


> Saga de Jonathan Capdevielle, du 31 janvier au 5 février au Théâtre de Gennevilliers. 

> Remi de Jonathan Capdevielle, du 07 au 11 mars à La Commune, Aubervilliers.


Propos recueillis par Thomas Corlin


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