« Is there life on Mars ? » demandait David Bowie en 1971. Oui, lui répond Tiago Rodrigues, se projetant depuis l’Autre Scène de Vedène à une centaine d’années dans le futur. Pourtant, si sa pièce se veut dystopique, la toile de fond qu’il a choisie ne paraît pas si lointaine : alors que, sur Terre, le système en place creuse les inégalités, que les crises climatiques s’enchaînent et le progrès technologique s'emballe, certains choisissent de tout recommencer sur la planète d’à-côté. Dans ce monde augmenté mais profondément divisé, un père et sa fille en mauvais termes, renouent le contact à plus de deux cents millions de kilomètres l’un de l’autre. Tout le paradoxe d’explorer La Distance comme voie de rapprochement.
Entre une Terre postapocalyptique et une Mars idéalisée, la scénographie imaginée par Fernando Ribeiro puise évidemment son inspiration dans le cinéma de science-fiction. Dos à dos sur une plateforme circulaire et rotative couverte de terre battue, père et fille ne communiquent que par messages vocaux. La souche d’arbre déracinée et le rocher rouge ocre qui scindent leur espace marquent à la fois une frontière générationnelle et une rupture familiale. Côté planète bleue, une pile de livres à même le sol et un tourne-disque semblent empruntés aux Gardiens de la galaxie des studios Marvel (2014) ; côté planète rouge, l’arbre miniature sous cloche évoque plutôt Seul sur Mars de Ridley Scott (2015). Les ambiances lumineuses, déclinées du brun au fuchsia, puis de l’indigo au doré, enveloppent le tout dans une atmosphère propice à la contemplation.

Les deux demi-cercles dessinent aussi des personnalités diamétralement opposées. Lui, papa poule mais accaparé par le travail, a toujours veillé de loin au bien-être matériel de sa fille ; elle, jeune femme en quête de liberté, a fui cette surprotection par-delà le bout du monde tout en souffrant de l’absence paternelle. Si leurs premières capsules audios ressemblent à du small talk entre lointaines connaissances, la conversation entre peu à peu dans le vif des sentiments. Alors que lui a l’espoir de sauver le monde en le changeant, elle a préféré changer de monde pour se sauver. Lui cherche à raviver les souvenirs de son enfance ; elle avale des doses de cocktail chimique pour les oblitérer et disparaitre avec eux. Crevant les abcès un par un, l’un et l’autre apprennent à tracer des traits entre leurs désunions et contre l’oubli inéluctable.
Allant et venant à la vitesse d’un 33 ou d’un 78 tours, la pièce tourne sur son axe et captive de bout en bout. Tiago Rodrigues signe sans doute ici un nouveau tube, qui doit beaucoup à ses deux excellents interprètes, chacun tissant contre-sens, malentendus et frustrations dans un dialogue filial profondément poignant. Adama Diop incarne avec une justesse désarmante cette maladresse toute paternelle dans l’expression de l’amour ou du deuil. En miroir, Alison Dechamps saisit avec acuité les contradictions de la jeune femme, tiraillée entre sa volonté d’affirmation et les fragilités de son enfance. Si le tableau soigne les contours et l’épaisseur des personnages au premier plan, la toile de fond néglige quelques aspérités liminales en traitant des questions de société ou de genre dans les grandes lignes. L’opposition binaire entre républiques surannées et oligarchies techno-scientifiques, humanisme naïf et eugénisme déshumanisant, féminisme et paternalisme, affleurent ainsi de façon quelque peu simpliste. Reste que La Distance parcourue par cette toupie suspend le temps au vol pour ravir les cœurs.
La Distance de Tiago Rodrigues, jusqu’au 26 juillet dans le cadre du Festival d’Avignon à L’Autre Scène – Vedène
⇢ du 1er au 3 octobre au Théâtre 71, Malakoff
⇢ du 15 au 17 octobre au Maillon, Strasbourg
⇢ du 5 au 7 novembre à La Comédie de Clermont-Ferrand
⇢ du 13 au 23 novembre à Vidy-Lausanne
⇢ les 26 et 27 novembre à la MC2 Grenoble
⇢ le 1er décembre à l’Équinoxe, Châteauroux
⇢ les 29 et 30 janvier 2026 au Bateau Feu, Dunkerque
⇢ les 3 et 4 février 2026 au Volcan, Le Havre
⇢ les 21 et 22 mai 2026 au Théâtre de Grasse
⇢ les 27 et 28 mai 2026 aux Scènes et Cinés – Istres
⇢ les 2 et 3 juin 2026 au Théâtre du Bois de l’Aune – Aix-en-Provence
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