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Tout paraît simple, évident, plus facile à faire qu’à dire dans la dernière création du chorégraphe Mickaël Le Mer, œuvre remarquable dont on cherchera en vain le moindre défaut. Cette impression d’aisance, autant que l’influence directe ou indirecte du héros centenaire aveyronnais, Pierre Soulages, marqué à vie par l’audace suprématiste d’un Kasimir Malevitch (1879-1935), on la retrouve dans l’expression populaire « faire ça les yeux fermés ». Une expression qui donne d’ailleurs son nom au spectacle : Les Yeux fermés. En réalité, c’est très compliqué de faire simple et de composer, comme ici, à la manière du plasticien, avec la matière chorégraphique.


De l’obscurité totale percent plusieurs points, lignes, plans – pour paraphraser Kandinsky. Un système d’éclairage ponctuel découpe l’espace – la profondeur ou la perspective du grand plateau des Gémeaux à Sceaux – en tranches lumineuses. Façon scanner, faucheuse ou guillotine la lumière abstrait les corps en pièces détachées, analysant le mouvement en commençant par les moindres petits gestes. Nous restons un temps, un certain temps, un assez long temps, à observer la grotte mythique et cette danse primale, minimale qui prend vie.



Le pigment néoplasticien transmuté en photon à l’ère du Bauhaus dessine dès lors tout fait et geste une heure durant. Autant dire que le jeu de reflets et de vitesses inaugural rythmé à la force du poignet, jusque-là soutenu par l’efficace B.O. électro-acoustique de David Charrier, change de cap avec l’apport scénographique extrêmement spectaculaire de Guillaume Cousin : ses quatorze panneaux mobiles et semi-translucides deviennent partenaire de jeu à part entière des huit interprètes déchaussés et vêtus de noir.


La chorégraphie est d’autant plus remarquable qu’elle évite tous les clichés habituels du genre humain et urbain : l’affrontement, le défi technique, la démo virtuose, le regard qui tue, la psychologie de bazar, la dramaturgie vieille mode, etc. Le travail de groupe domine ici, quoique quelques variations ou échappées belles viennent compléter l’organicité ou le mouvement d’ensemble. Les danseurs méritent donc d’être mentionnés, eux qui le sont peu dans les annonces du show : Jeanne Azoulay, Fanny Bouddavong, Dylan Gangnant, Audrey Lambert, Agnès Sales Martin, Elie Tremblay, Teddy Verardo, Dara You.


La fluidité de la pièce, la diversité des pas, l’éclectisme stylistique, les enchaînements – du solo au duo, du trio au pas de plus, de la danse debout au break, des glissés aux sauts périlleux et autres roulades martiales – sont aussi à souligner. Le savoir-faire du chorégraphe est tel qu’on ne ressent aucun temps faible, quasiment pas de temps mort. De la danse pure. Jamais dure. Sans cabotinage. Huit danseurs singuliers formant un même corps de ballet, ou, par la magie des murs-tambours miroitants, se retrouvant démultipliés à l’infini. 


> Les Yeux fermés de Mickaël Le Mer a été créé au théâtre Jean Vilar dans le cadre du festival Suresnes Cités Danse ; présenté le 21 mai aux Gémeaux, scène nationale de Sceaux