CHARGEMENT...

spinner

« A plot », en anglais, c’est une intrigue, une conspiration mais aussi une parcelle de terrain. L’Américano-Dominicaine Ligia Lewis pointe cette polysémie au sein même du titre de son nouveau spectacle pour prendre à bras le corps le colonialisme. Adepte de pièces expérimentales où le corps est au centre, elle superpose ici grotesque et excavation du passé colonial, tout en prenant à témoin le public majoritairement blanc des arts vivants.


Sur un plateau dénudé – un portant de vêtements, un paravent, un micro-onde – Ligia Lewis évolue seule. Elle déambule parmi les rangées du public, fige quelques grimaces, souffle, joue de sa bouche pour produire des bruitages. C’est au fil de ces expérimentations somatiques (inspirées de l’écriture subversive des Ballets C de la B et de Mette Ingvartsen) que son corps investit l’espace entier du théâtre. En écriture de néons s’illuminent alors des indices - « revenge, rebellion, repair » - et les pièces du puzzle s’assemblent.


La polysémie de « plot » se déplie dans cette mise en scène fragmentée. Elle éclate d’abord dans une parodie des minstrel shows états-uniens, ce genre connu pour ses blackfaces et ses stéréotypes racistes qui a survécu jusqu’au début du XXe siècle. En peignoir et perruque baroque, la chorégraphe et performeuse imite le philosophe anglais du XVIIe siècle John Locke en aristocrate ridicule affalé sur une pile de crânes argentés et nourri de viande rouge par son valet. Le colon blanc, défenseur des Lords propriétaires d’esclaves et d’un capitalisme effréné, se fait quant à lui cliché burlesque. Au fil de ces sketchs historique défilent les lois du code noir qui encadraient la propriété des esclavagisé.e.s réduite.s à des corps-instruments.


La pièce couvre ainsi des pans de l’Histoire rarement enseignés dont l’écho est pourtant toujours vivace. Le « plot » désigne autant les territoires et les corps dont on s’est arrogé la propriété que le scénario inventé pour légitimer leur appropriation. Dans cette optique, les pratiques culturelles des esclavagisé.e.s furent discréditées et criminalisées, à l’instar du vaudou que la grand-mère de Ligia Lewis pratiquait.


À travers ce témoignage sensible, Ligia Lewis expose les ressorts du colonialisme dans son propre corps pour nous exhorter à les ressentir. Une question sous-jacente domine peu à peu la scène : qu’est-ce qu’interroger le colonialisme en s’adressant à un public de théâtre européen et majoritairement blanc ? Grâce à sa narration sinueuse, complexe et incarnée, la chorégraphe nous intègre dans cette interrogation et ouvre de nouveaux espaces de réflexions.


> A plot / A scandal de Ligia Lewis a été présenté le 14 mars à Points Communs, Cergy, dans le cadre du festival Arts et Humanité ; les 21 et 22 avril au Beursschouwburg, Brussels ; les 26 et 27 mai au SPRING festival, Utrecht

Lire aussi

    Chargement...