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« Sur Robert Hood, elle dépote. » Alexandre Roccoli parle de Thérèse, une archiviste septuagénaire qui s’est révélée sur les tracks du tutélaire producteur techno de Détroit, fondateur d’Underground Resistance. C’était pendant les « pratiques » de groupe qu’il conduit à Clichy, sur invitation des Ateliers Médicis. Il y a un an, on colle une annonce à la Maison des Seniors alentours, et une vingtaine de femmes répond à l’appel. « Un plombier s’était présenté au début, mais en fin de compte, il n’y a que des femmes dans le cercle », signale le chorégraphe. Les réflexes de genre ont la peau dure. Elles ont entre 63 et 94 ans, certaines avec une santé fragile – la routine de l’âge, ou Alzheimer. Elles ont été aides-soignantes, ouvrières, réanimatrices. Certaines ont un rapport à la danse, d’autres aucun. Mais Alexandre Roccoli a un programme pour elles : un « rite » croisant techno, biguine, Brian Eno, ou Joe Dassin s’il le faut. Et une partition : une boucle de cinquante minutes, qu’elles s’approprient au fil d’exercices à vertus curatives, et retransmettront à leur tour. « Mais c’est tout sauf de l’art-thérapie. Plutôt une rave. »


La rave, le club, la transe, ont déjà alimenté les créations d’Alexandre Roccoli. Il est de ceux qui ont fait leur « terrain de recherche » universitaire sur la vie nocturne berlinoise, la belle affaire. En 2021, il réunissait les danseurs du Ballet National de Marseille pour LP, meute mouvante sous un halo rougeoyant et sur une bande son virant de la noise à l’ambient. « C’était déjà un processus curatif, basé sur des exercices de respiration, même si les danseurs étaient pros. » En plus de la culture club (LP est un acronyme courant en musique pour « long play », des 33 tours vinyle), ses créations chorégraphiques sont instruites par une autre activité, celle d’ateliers participatifs portés sur le soin et la mémoire corporelle. « Mais je ne suis pas un mécano de l’action culturelle, nuance celui qui préfère s’éloigner du vocable « atelier ». Il faut un projet artistique derrière. » Entretiens, vidéos, pratiques, rencontres, tutoriaux : le chorégraphe fait circuler depuis 2014 ses dispositifs au long terme auprès de publics variés – des réfugiés à Lille, des jeunes d’un lycée pro, des personnes âgées dans un EHPAD.« Quand il faut connecter un jeune mécanicien et une octogénaire, on trouve des ponts : une dame de 95 ans peut kiffer la moto, ou donner des conseils de drague. »


Mais ici,  pas d’énième collecte de récits de vie. D’un show sur les états de conscience altérés, LP est devenu un laboratoire où travaillent temps et corps. Le temps long, donc : dix jours de pratique par mois depuis un an aux Ateliers Médicis, guidés par Alexandre Roccoli, le magnétiseur Mehdi Berkouki et les comédiennes Fatim Zahra-Alami et Pauline Pralong. Le temps de la mémoire aussi : de ces dames d’expérience, LP réactive les souvenirs de gestes liés à leur ancienne activité professionnelle, et leur donne un sens nouveau, désaliéné. Selon le chorégraphe, « le corps est une machine à remonter le temps ». Un corps à déprogrammer, reprogrammer, au gré d’exercices de mobilités, de soins énergétiques, et de rencontres, bien sûr. Pièce participative, Long Play Senior fonctionne sur inscription, et s’ouvre désormais à d’autres générations pour le festival Everybody. Le gang de Clichy déboule donc dans le Marais à Paris, et l’appel à participation lancé par le Carreau du Temple ne se limite plus aux fameux « seniors ». L’occasion de renouer avec les connexions intergénérationnelles au cœur du protocole de LP, et peut-être réussir cette fois à casser les divisions de genre.


Long Play Senior d’Alexandre Roccoli avec le cercle de femmes amateurs de Clichy, ouvert sur inscription

le 10 février au Carreau du Temple, Paris (sessions à 10h30 puis 14h30)


LPXLOVOTIC d’Alexandre Roccoli, spectacle immersif avec des danseurs professionnels

⇢ les 1er et 2 juin dans le cadre du festival ManiFeste à l'IRCAM, Paris

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