Oubliez la salle de théâtre. Ce soir, nous prenons place dans le « salon » du T2G, habituellement lieu de passage. Face à nous, une chaîne hifi, trois sièges et un duo femme/homme, vraisemblablement des gardien·nes de musée – chaussures noires, pantalon gris, polo vert bien boutonné. Un coup d’œil dans la salle : il n’y a pourtant rien à surveiller sous les néons. Un des deux guides nous l’annonce : nous sommes ici dans un fictif Musée Européen de la Mémoire et de la Destruction, l’itinérant MEMED. Constituée après les abominations de la Seconde Guerre mondiale, cette collection nomade compile des vestiges issus des plus grands saccages européens – Carthage, Rome, Le Havre, Marioupol, etc. Le lieu propose aussi une expérience immersive dans l’horreur et une galerie de masques en cire des plus grands bourreaux de l’histoire. Rien de tout cela n’est visible, mais il n’en faut pas plus pour que des images assaillent notre esprit et se projettent sur les murs blancs.
Hélas, le musée n’a pas trouvé son public : aucun visiteur ne vient s’y recueillir. L’un des deux guides court pourtant en chercher en ville. Rappeler les horreurs du passé n’aurait-il plus de sens ? « Plus jamais ça » : tout le monde s’en fout ? Voilà nos deux médiateur·rices bien embêté·es. Leur situation a quelque chose de beckettien et leur attitude rappelle Buster Keaton. Dans les haut-parleurs, leurs réflexions nous parviennent et révèlent deux tempéraments aux antipodes. L’un, enthousiaste et imaginatif, multiplie les devinettes. La seconde, nostalgique du temps où la mémoire avait son public, ne trouve goût au présent qu’à travers la musique de Joy Division – paradoxe glaçant quand on se rappelle que le groupe de Manchester tire son nom de la barbarie concentrationnaire.
Sans décor ni narration, Toutes les villes détruites se ressemblent brasse des enjeux majeurs : serait-ce à la fois la fin de l’histoire, comme plusieurs penseurs l’ont annoncé, et celle du théâtre ? Il n’en est rien. En s’axant sur le dialogue entre mémoires et imaginaires, c’est à la représentation elle-même que touche Toutes les villes détruites se ressemblent. À la croisée des registres, adaptable à toutes sortes d’espaces, et porté autant par ce qui se voit que ce qui se devine, ce duo désabusé signé Magrit Coulon et Bogdan Kikena préfigure, à son échelle, un nouveau théâtre commun.
Toutes les villes détruites se ressemblent de Magrit Coulon et Bogdan Kikena a été présenté du 22 au 26 mai au Théâtre de Gennevilliers
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