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Pas question pour Marco Berrettini de répondre à cette commande destinée au répertoire du Ballet lorrain. En se plongeant dans la lecture de Songlines – récit dans lequel Bruce Chatwin interroge des aborigènes d’Australie sur les lieux qu’ils estiment sacrés – le chorégraphe italo-germanique ne veut pas prendre le risque de styliser les danses aborigènes, comme l’avait fait Jiří Kylián dans Stamping Ground (1983). Puis, finalement, il accepte la proposition de Petter Jacobsson et Thomas Caley. « Avec le Ballet de Lorraine et ses 24 danseurs, s’amuse-t-il, les gens vont enfin me voir comme un vrai chorégraphe. »


En Occident, on pense créer à partir de rien lorsqu’on chorégraphie dans un espace vide. Pour le peuple aborigène, « on part du principe que l’espace est déjà habité ». Il se trouve des endroits spécifiques dans lesquels les mouvements prennent place et où les danseurs se rencontrent. Berrettini a cherché à redécouvrir ces endroits déjà-là, sur le plateau, sans jamais imiter ni reconstituer les danses millénaires d’Australie. La chorégraphie n’est plus considérée comme une écriture mais comme la lecture du mouvement latent dont les traces sont inscrites sur scène.


Songlines de Marco Berrettini © Laurent Philippe


Pendant presque tout le spectacle, aucun élément de décor ne vient encombrer l’espace scénique, élargi au maximum pour l’occasion. Berrettini s’est passé de pendrillons et, sans aller jusqu’à exhiber les murs de la boîte noire dans une coquetterie post-brechtienne, il a sucré aussi le cyclorama balanchinien et ses effets d’enjolivement lumineux. Un gigantesque drap à peine repassé camoufle un double-fond avec un étroit podium qui, le moment venu, fera office de catwalk, de cabaret ou de tréteaux pour commedia dell’arte. Et, bien sûr, dans ce théâtre sans drame, l’anecdote est absente. Dans certaines séquences, la forme est canonique. Ainsi, la pirouette – d’usage dans le classique, le baroque, les danses populaires et le disco, rappelle Berrettini – « est en soi déjà un geste mécanique ». Il invente une vis ou une ronde à partir de deux-trois mouvements exécutés par quatre danseurs oscillant dans le sens anti-horaire, leur tête en arrière faisant contrepoids.


Le chorégraphe s’autorise quelques clins d’œil au « ballet mécanique » de Fernand Léger et aux Silver Clouds de Warhol qui ornaient le ballet de Merce Cunningham RainForest (1968), ainsi qu’au moonwalk d’un Michael Jackson dont il tire une magnifique et longue routine – la meilleure façon d’avancer étant de faire marche-arrière. Des paysages surréalistes s’activent sous l’action ou l’inaction des danseurs, ou par l’intervention d’un insecte certes moins inquiétant que celui de Kafka ou que la punaise de lit – un globuleux mille-pattes ou mille-pieds. Les tableaux d’ensemble se contemplent dans le détail : les performances virtuoses d’un Nathan Gracia, le duo de sœurs jumelles Céline Schœfs et Angela Falk, les costumes de Martine Augsbourger et Olivier Mulin démarqués des uniformes d’urgentistes couleur bleu ciel, rose corail et vert amande d’esprit pop non acidulé.  À partir de rien ou de presque rien, s’appuyant par une B.O. électro signée Daniel Brandt et Paul Frick, jouant des détours et contournements, le chorégraphe semble avoir pleinement rempli la mission confiée par le Ballet de Lorraine, preuve en est l’enthousiasme de la salle.



Songlines de Marco Berrettini avec le Ballet de Lorraine a été présenté du 8 au 12 novembre à l’Opéra national de Lorraine, Nancy

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