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Les spectateurs ne sont pas tous installés mais les minutes filent déjà sur une horloge numérique en fond de scène. Dans leur petit uniforme de velours noir, menton cerné de blanc et gants de plastique violets, les danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon avancent en rang serré. Les voilà qui enjambent un filet de tennis et forment un cercle au centre du plateau. A cappella, ils entament bras dessus bras dessous « The Weeping song », hymne signé Nick Cave et les Bad Seeds. Choix quelque peu mélancolique pour un warm-up pré-match – ou s’agit-il d’un rite propitiatoire voire d’un conseil de guerre ? Les unissons sont trop rares chez Marlène Monteiro Freitas pour ne pas inquiéter. Un petit tour et puis s’en va, les interprètes retournent en coulisses. La représentation n’a pas débuté qu’elle est déjà sortie de ses gonds.


Le plus souvent, c’est de l’intérieur que le travail de la chorégraphe cap-verdienne déborde. Comme un défi lancé au regard humain, ses créations fresques regorgent de détails : il y a toujours trop à voir pour pouvoir en embrasser la totalité. Lorsque les danseurs reviennent, ils entament une tournée d’échauffement : vingt-trois personnalités, autant de manières, sur les tic-tac stridents qui retentissent comme un compte à rebours. À quels matchs, à quel sport allons-nous assister ? Une mini olympiade cartoonesque et sans compétition – les danseurs sont tous flanqués du dossard n°3. On reconnaît certaines disciplines – course, boxe, équitation – mais il s’agit d’en inventer d’autres dans un élan contagieux de joyeuse absurdité. À quand les compétitions d’observation d’oiseau ou de brossage de cheveux ? Qu’importe le degré d’insolite, la tension sportive est au rendez-vous : dans une succession de cassures de rythme, les danseurs ne finissent jamais leurs mouvements et nous tiennent en alerte.


Canine jaunâtre 3 a une place particulière dans la carrière de Marlène Monteiro Freitas. La pièce voit le jour en Israël sur commande de la célebrissime Batsheva Company. Là-bas, la colonisation de la Cisjordanie marque la chorégraphe et lui inspire deux images – un bulldozer construisant et détruisant des bâtiments, un jeu de légo – desquelles naîtront son inspiration pour cette pièce. À son retour, elle monte (Un)common ground, une plateforme pluridisciplinaire pour poursuivre collectivement des recherches sur les conflits coloniaux à travers le monde. Mais Canine a peu tourné depuis. Jusqu’à son entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon en 2024, qui nous permet de la redécouvrir aujourd’hui, elle était devenue une sorte de « pièce fantôme » de sa carrière, se faufilant comme une ombre parmi toutes les suivantes.


Les histoires de fantômes en cachent toujours d’autres. Dans Canine jaunâtre 3, le contexte politique israélien a été est enfoui sous un palimpseste de gestes. Mais l’image initiale, désormais subliminale, colore plusieurs séquences d’une autre tonalité. Quand les danseurs miment des tirs de mitraillettes sur fond du thème principal du Lac des cygnes, ou quand ils chantent « Man down » de Rihanna dans une décharge finale d’énergie club, elle est bien là pour nous crisper les entrailles.


Canine jaunâtre 3 de Marlène Monteiro Freitas a été présenté du 5 au 8 mars au le Ballet de l’Opéra de Lyon à la Maison de la danse, Lyon


--> dates à venir sur la saison 2024-2025 à la Villette, Paris

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