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Aux dernières notes de l’ouverture du Pygmalion de Rameau, à peine assis sur son promontoire de mixture blanche, vêtu d’un simple jockstrap doré, Pol Pi cherche le regard du spectateur. Son siège dégouline, comme si le marbre dans lequel était sculpté les représentations romantiques du mythe ovidien avait fondu le temps d’arriver jusqu’ici. Fiché dans cette masse claire, un étrier d’obstétrique pour supporter son pied. Déshabillé ainsi, le corps dont le genre a été neutralisé devient statue. Une bande de tissu camoufle le torse et un téléphone portable vissé sur l’entrejambe renvoie systématiquement les regards curieux à leur propre reflet.


© Latitudes contemporaines


Progressivement, le visage grave, il se façonne des seins de pamplemousse, des bijoux en fraise et une coiffe en peau de banane. Au fil de cette séance de prestidigitation, Pol Pi devient Galatée, figure féminine qui nait du fantasme de son créateur : Pygmalion. Sculpteur, ce personnage d’Ovide est désespéré par l’impudeur et les vices des citoyennes qui l’entourent. Il cisèle pour son propre plaisir une statue de femme sur mesure. De ce corps dominé et disponible il tombe éperdument amoureux. Quittant son rôle sérieux d’artiste créateur, Pol Pi transitionne en cette femme-objet exaltée, offerte aux spectateurs.


Panier garni


Recouvert de sucre glace et de chantilly, des fraises à la taille et deux radis entre les fesses, le corps de Galatée est une panière à fruits vivante. Sourire ironique aux lèvres, le performer quitte son assise et invite à festoyer, distribuant groseilles et raisins dans la paume ou la bouche du spectateur élu. S’en suit, jusqu’à épuisement, une chorégraphie de contorsions pour satisfaire le regard masculin ici incarné par un mannequin sans tête posé face au danseur en transe. Sur son visage éreinté, la douleur. Avec cette parade nuptiale sans fin, Me Too, Galatée invoque une misogynie vieille comme le monde et démontre la violence intemporelle des injonctions faites aux femmes. Habité par une colère sourde, le performer enchaine sur une traduction live et slamée du titre « Triste, louca ou má » (« Triste, folle ou mauvaise »). Ce texte soudain très littéral ne manque pas de rompre le charme et d’imposer un léger malaise. Moment de flottement bien vite oublié à la faveur d’une scène uro aussi surprenante que participative. La Galatée de Pol Pi en a décidément ras-le-bol et son exaspération anime cette performance aux provocations toujours intelligentes.



> Me Too, Galatée, les 10 et 11 mars 2023 au CN D en collaboration avec le Palais de Tokyo dans le cadre d'Exposé.es (visible jusqu'au 14 juin 2023)

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