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Bien que Goodbye soit une histoire d’aurevoirs et de chagrin, la performance est pleine d’humour. Ça fait du bien de rire de la mort ? 


Durant le processus de collecte de ces lettres d’adieux, j’ai compris que tous les aurevoirs ne sont pas tristes, certains sont des moments libérateurs et mettent un terme à des périodes difficiles. Entre une lettre adressée à un·e ex et les lettres de suicide, le public est confronté à un large spectre d’émotions. Il ne s’agit pas vraiment de rire au sujet de la mort mais davantage de saupoudrer d’ironie la conversion que j’engage avec le public. Au Japon, les proches se rassemblent après les funérailles et partagent des souvenirs joyeux et des anecdotes amusantes à propos de la personne décédée. Quand mon père est mort, ses cinq frères et sœurs, installés à tous les coins du pays, se sont réunis. Pendant le repas qui a suivi la cérémonie, ils se sont remémorés leur enfance et nous ont raconté à mes frères, mes sœurs et moi des histoires amusantes sur notre père. C’était touchant et très drôle, nous pleurions et nous riions. Mes deux parents sont décédés l’année précédant la création de Goodbye. Je sens leur présence dans cette performance.


Vous lisez la lettre d’adieu de Kurt Cobain et celle d’un malvoyant à son chien-guide. Pourquoi faire coexister l’intimité d’anonymes avec celle de figures ultra-populaires ? 


J’explore la relation entre les expériences individuelles et collectives, tout comme les interactions entre les sphères privées et publiques. C’est pour cette raison que dans la pièce, j’invoque le vécu de figures parfaitement anonymes et de personnes mondialement connues. Toutes ces lettres racontent la vie d’un individu mais partagent paradoxalement quelque chose d’universel, qui résonne pour beaucoup d’entre nous. Cet enchevêtrement entre des histoires publiques et personnelles est un thème récurrent dans mon travail. C’est le cas notamment dans Mitsouko & Mitsuko (2021), un solo où je raconte l’histoire de deux femmes japonaises en prise avec les paradoxes de la modernité.


Dans chacune de vos pièces, la scène est presque vide. Pourquoi ?


Pour Goodbye, je voulais avoir un espace scénique aussi minimaliste que possible, afin de laisser la place nécessaire aux mots pour exister, qu’ils puissent résonner métaphoriquement dans le lieu. J’incorpore aussi des actes symboliques, comme la destruction d’horloges avec une hache, pour figurer la fin de certains états traversés par le public et moi-même. La simplicité de la mise en scène permet de mettre en exergue la puissance émotionnelle de certains détails. Aussi, d’un point de vue plus pratique, je préfère rester mobile : j’aime l’idée que tout tienne dans une valise quand je suis en tournée. Les silences et les moments suspendus sont importants pour offrir des temps de réflexion au public. Prendre le temps de comprendre, c’est crucial. Ce calme entre chaque lettre est nécessaire pour pouvoir accueillir l’intensité de celle qui suit.



photo : Maximilian Pramatarov  



On écrit souvent des lettres, de surcroît d’adieu, pour confier un secret, montrer une certaine vulnérabilité. Pourquoi choisir de les divulguer, particulièrement sur scène ? 


D’abord, toutes ces lettres ont été trouvées dans la sphère publique, au sein de fonds d’archives, de livres d’histoires ou sur internet. À cet égard, je ne révèle les secrets de personne, je suis plutôt un intermédiaire pour transmettre leurs mots, leurs voix. Ces lettres sont des témoignages, elles reflètent la complexité de la nature humaine. Certaines notes de suicide contiennent des messages puissants comme celle laissée par l’écrivain autrichien Stefan Zweig, qui a quitté son pays natal durant la montée du nazisme avant de s’ôter la vie au Brésil. Il y a aussi la lettre de cette jeune femme transgenre qui ne parvient plus à s’imaginer un futur et qui implore la société de se réparer, afin de ne pas exposer les générations futures à la même violence. C’est notre responsabilité d’être attentif·ves à ces voix, de garder la mémoire de leurs quêtes inaccomplies.


Goodbye de Michikazu Matsune

 ⇢ les 27 et 28 mars au théâtre Garonne, Toulouse, dans le cadre de « Spectres, revenants et autres fantasmagories » - Constellation composée avec Philippe Quesne

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