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Quartier de femmes raconte l’enfermement avec beaucoup d’ironie. On rigole tant que ça en prison ? 


Dans ma vidéo Temps mort (2009), j’échangeais avec une personne incarcérée par téléphones interposés. Un ami passé par la prison m’a fait remarquer que j’avais évacué tout l’humour qui rythme aussi la vie en taule. Ça m’est resté en tête, j’avais l'impression d'avoir raté quelque chose. Alors que c’est évident, l’humour est un moyen de s’échapper – l’émission Touche Pas À Mon Poste cartonne en cellule. La vie est tragique, il ne reste qu’à en rire. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi la forme du stand-up. C’est l’exercice parfait pour proposer une caricature du réel. La pièce aurait pu exister sans humour mais j’aurais eu l'impression d’énoncer une vérité tangible, de me prévaloir d’une connaissance du lieu, ce qui aurait été une prétention. Quartier de femmes mélange les genres. Je fais le choix de laisser un micro pour donner l’impression du stand-up. Pour autant, à plusieurs occasions la comédienne s’échappe et le texte se fait plus poétique. La dimension sketch n’est pas en dehors de la dramaturgie, ni séparée des moments plus chorégraphiques, les deux se valent. Pour moi, le stand-up, c'est une écriture, un style. Je suis très inspiré par des livres comme Peaux noires, Masques blancs de Frantz Fanon où le lyrisme, la philosophie et le compte rendu psychiatrique se côtoient. 


La comédienne chambre volontiers le public. C’est audacieux dans un pays pas forcément friand du roast à l’américaine. 


Au théâtre, l’adresse au spectateur est de plus en plus commune. Mais cette façon un peu agressive de parler au public et d’attendre de lui une réponse vient clairement des États-Unis. Cela fonctionnait bien avec la personnalité borderline du personnage aussi. C’est également une façon d’éprouver l’immédiateté propre au théâtre. La comédienne prend beaucoup de plaisir à improviser, à faire bouger le texte chaque soir. 


Dans l’ouvrage Nik ta race, histoire du rire en France (2023, Façonnages Editions), le critique et scénariste Adrien Dénouette observe : « Si la culture était une grande ville, le rire serait sa banlieue. » Cette cartographie vous parle ? 


L'humour a été un vrai outil de visibilité pour les personnes racisées, mais c’est davantage une question de classe à mes yeux. Quand tu viens de banlieue, d'une famille modeste, que t'as pas de thunes, tu ris de ta réalité, tu chambres tes potes. À la campagne, c’est sûrement pareil. Dans l'humour, il y a un truc populaire, voire vulgaire. À la différence du théâtre, le stand-up est accessible à la télé ou en streaming. Même si le T2G essaie d’inciter les publics de Gennevilliers à venir voir les spectacles, les habitués restent des Parisiens blancs. Face à ce constat de départ, j’ai d’abord voulu faire un pur spectacle de stand-up. Puis j’ai découvert la puissance du théâtre. C’est un art élitiste mais il faut admettre son pouvoir. Il m’importe alors de mettre les deux formes à égalité, de les faire coexister.


Vous avez fait le choix d’un seul en scène sur un plateau dépouillé. Votre profil de plasticien aurait pu présager du contraire. Pourquoi tant de simplicité ?


Je me suis demandé ce qui était essentiel à la pièce et j’ai peu à peu épuré la scène du décor que j’avais envisagé au départ. Quelques éléments semblaient indispensables : la machine à fumée, le micro, ce haut-parleur sur pied et surtout la chaise. Lou-Adriana Bouziouane incarne le personnage principal mais le second personnage, c'est la chaise. Ce dénuement laisse un espace à la comédienne pour construire des images avec son corps. Lou-Adriana fait exister une multitude de personnages, elle passe d'un corps qui ferait 40 kilos à un autre qui en ferait 60 ou 90. Ce jeu de transformation  passe par le geste, sans artifice. On sait qu’elle se glisse dans la peau d’un pédophile simplement à sa façon de s'asseoir. Dans ces espaces clos et nus que sont les prisons, l'espace est restreint et le corps est contraint, c’était fondamental de le mettre en scène. 


La prison est un univers coupé du monde dont on sait peu de choses, et qui génère beaucoup de fantasmes. Comment ne pas reproduire les clichés à son sujet ?


Dans la culture, on parle peu des prisons pour femmes. On raconte souvent cet univers comme un monde viril et violent. J’avais déjà travaillé avec des hommes en prison mais j’ai senti le besoin de me confronter à la réalité des femmes dans le monde carcéral, qu’elles abordent différemment. Pendant un mois et demi, Zazon Castro et moi avons régulièrement rencontré des détenues qui nous ont raconté leur quotidien. Certaines d’entre elles sont mères, et il leur est difficile de garder un lien avec leurs enfants. La question des menstruations est également un vrai casse-tête. La prison, c’est un calque de la société en condensé. Leur situation est d’autant plus dégradante du fait qu’elles soient des femmes, c’est un peu la double peine. J’ai essayé de garder une distance respectueuse à l’égard de leurs vécus, surtout en tant qu’homme.



Quartier de femmes de Mohamed Bourouissa

⇢ le 7 juin aux Rencontres à l'échelle, Marseille 


L'exposition Signal de Mohamed Bourouissa

  jusqu’au 30 juin au Palais de Tokyo, Paris

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