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Robinson Crusoé, version Michel Tournier, s’est enfoncé dans un délire tyrannique pour le comprendre : l’île a un « lien symbolique avec un isolement imposé ou intérieur, un détachement du monde, une posture spirituelle et physique ». Le mot INSEL (« île » en allemand) souligne cette aura métaphysique, comme le précisent Ginevra Panzetti & Enrico Ticconi dans la feuille de salle. Leur introduction tranche avec les premiers instants de la pièce : des bruits de tempête qui font craquer toute la salle, deux corps crashés sur une scène vide depuis les coulisses, un déchaînement peu propice au recueillement. Comme une ombre, la silhouette noire mime les contorsions de l’autre, une femme vêtue en aventurière coloniale et grimée façon masque de commedia dell’arte. « Tout est perdu », grimace celle-ci en italien, via une voix pré-enregistrée diffusée par une enceinte ficelée au cœur. Le cadre est posé : souffrance, solitude, désorientation. Et nulle âme pour donner des « conseils quant à la manière de se comporter sur une île ».



INSEL © Spezza Švagelj 


Pendant que la performeuse continue sa litanie, l’échine courbée au sol, les bras nerveux et son ombre toujours au diapason, deux autres corps s’écrasent à leur tour sur le plateau – mêmes figures, même allure. « Personne », se lamente l’aventurier, cette fois via une voix masculine. « Il n’y a personne que je n’aime plus que moi-même », continue-t-il. Les deux duos s’ignorent d’abord, chacun poursuivant sa geste de pleureuse ou de mégalomane, jusqu’à ce que leurs ombres respectives prennent le dessus, s’enroulent, écrasent leurs « propriétaires » pour enfin les charrier sur le dos comme deux dépouilles. Des mues que l’on traine derrière soi. Dans le clair-obscur, le tableau pourrait être signé du Caravage.

 INSEL © Spezza Švagelj


Qui de nous deux est le monstre ? 


Dédoublement, décentrement, mutation : l’expérience insulaire transforme. Les tourments individuels virent à la célébration collective et comique. Les ombres, émancipées, émettent des grognements. Dorénavant, nous sommes face à un quartet marionnettique. Ensemble ils se lancent dans une ronde, communiquent par des borborygmes proches du didjeridoo. Au centre du plateau se dessine une éclipse qui vire soleil puis foyer crépitant. L’environnement, la danse, en même temps que le langage, évoluent. Même les surtitrages se déforment progressivement en ondulations baroques jusqu’à devenir illisibles. Le rythme s’accélère. À les voir marcher droit en ligne puis retomber en spasmes, ces êtres, qui ne sont plus les humains du début, paraissent pris dans un ressac. L’île les aurait-elle absorbés ou s’adaptent-ils si bien qu’ils finissent par faire corps avec ce qui les entoure ? N’en déplaise aux fervents soldats de la Civilisation qui y verraient un retour au « primitif », s’il y a des « monstres » dans Insel, ce sont ceux, hors-sol, qui parlent comme il faut et ne regardent pas leur ombre.



INSEL de Ginevra Panzetti & Enrico Ticconi a été présenté le 28 septembre au KLAP, Marseille

⇢ les 8 et 9 février au Manège, Reims, dans le cadre du festival FARaway

⇢ le 22 mai au Théâtre Berthelot - Jean-Guerrin, à Montreuil, pour les Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis

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