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Découverte en tant qu’interprète dans la pièce documentaire Grief & Beauty de Milo Rau, la jeune artiste Princess Isatu Hassan Bangura laissait présager d’une patte tournée vers le théâtre documentaire et le matériel d’archive. Au lieu de quoi Great Apes of the West Coast quitte les chemins du réalisme pour une ode afro-futuriste à la lumière d’un néon lunaire.


Plongée dans la pénombre, le visage éclairé de moitié, une silhouette sombre tangue au milieu d’un carré scintillant. Dans une tenue de chaman de catwalk, Princess Isatu Hassan Bangura électrise la scène par les seuls vacillements de nuque. D’un « fuck » inaugural, premier jet d’encre sur une page blanche, la jeune artiste entonne un psaume continu. Sur le sable immaculé qu’elle foule à pieds nus, le verbe de Princess se répand comme un cours d’eau : d’une source timide, brusque et maladroite, les mots s’écoulent et gonflent la voix. D’un anglais littéraire, la marque de l’occupant, la langue se rebelle et va lécher le roulement d’un « r- », amplifie les rebonds des voyelles, et pioche bientôt dans les images métaphoriques héritées du krio – principal dialecte parlé en Sierra Leone.


Pour remonter le fil de son histoire personnelle, depuis les Pays-Bas où elle débarque à 13 ans pour fuir la guerre civile, jusqu’aux plages de sa Sierra Leone natale, Princess en appelle au souffle, organique et bientôt mystique. D’un corps statique, contenu dans les seuls mouvements du buste et les concepts froids de l’individualisme occidental, le monologue porté par Princess creuse le souffle, gonfle la poitrine et investit l’espace, engage une traversée de retour aux racines. Dans le sable blanc, les aller et retour, hésitations, esquives et digressions du récit racontent les silences qui débordent des mots.


Contre l’examen et la permanente demande de justification qui a martelé son adolescence de gamine noire au drôle d’accent anglais, Princess impose avec Great Apes of the West Coast  un récit de soi porté par l’onirisme. Guidée par l’éclat fluo d’une lune immense surplombant la scène, cette sorcière mi-alien mi-vaudou opère la traversée salvatrice vers le foyer allégorique, hutte en feuilles nichée en fond de scène, et dont l'intimité restera hors de vue. Jailli d’un corps rigide, confisqué à lui-même, le conte livré par Princess résonne finalement comme une incantation des forces immortelles pour faire renaître l’éclat, la joie et la communauté du pays retrouvé, relevé de la balafre génocidaire comme du misérabilisme européen.



Great Apes of the West Coast de Princess Isatu Hassan Bangura a été présenté du 7 au 14 février au TNS, Strasbourg

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