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Regards cajoleurs, claquements de doigts et jeu de jambes esquissé sur des sonorités funk : avant même que les spectateurs de la Biennale de la Danse de Lyon ne soient entièrement installés dans les gradins, les sept danseuses de Queen Blood font déjà flotter dans l’air une ambiance aussi envoutante qu’électrique. Il faut dire que le contexte est loin d’être ordinaire. Ousmane Sy, le chorégraphe du spectacle est brutalement décédé en décembre 2020 d’une crise cardiaque alors qu’il répétait une nouvelle création, One Shot, avec elles.

Difficile, alors, de ne pas voir dans leurs danses survoltées, leurs énergies rebelles, leurs corps à la fois légers et ancrés au sol, une manière de continuer de communiquer avec celui qui a fondé leur groupe d’afro-house exclusivement féminin en 2012, le Paradox-Sal Crew, une exception dans un milieu encore très masculin. Membre du collectif FAIR-E actuellement à la tête du Centre Chorégraphique National de Rennes, un pied dans les institutions culturelles l’autre dans les clubs et les battles, celui qu’on surnommait « Baba » ou « Babson » est connu pour avoir été le grand ambassadeur de la house dance en France. Lors de la célèbre compétition de break « battle of the year » qu’il remporte en 2001 avec son groupe Wanted Posse, il intègre pour la première fois des pas de cette danse qui puise ses origines dans les 80’s au sein de la communauté gay américaine, dans les boîtes de nuits de Chicago d’abord, puis New York, Detroit ou Philadelphie, marquées par l’apparition des productions de house music.

 

 

Reines de la house

Sur un tapis blanc entouré de projecteurs rasant le sol, rétroéclairées par un fond lumineux aux couleurs changeantes qui découpe leurs silhouettes habillées de noir, les danseuses de Queen Blood se jettent dans l’arène. Au ralenti, l’une d’elles s’avance dans une vague de bras et épaules, comme pour décortiquer un fondement du geste house : le jacking, ondulations fluides et hypnotiques du haut du corps. En groupe, cette fois, les danseuses s’attaquent, le rythme au corps, à un autre pilier de cette danse, les footworks, un travail rapide et complexe des jambes qui rappelle les claquettes ou le pas de bourré du ballet classique. Mais ces reines de la house et princesses de la fête savent aussi parfaitement twister le genre, en lui apportant, toutes à leurs manières, une saveur particulière : pour l’une la violence du krump – cette danse urbaine enragée née à Los Angeles – pour l’autre des gestes issus de danses traditionnelles africaines, quelques pas latins, ou une dernière épousant le sol avec la douceur d’une caresse.

Sur la voix soul de Nina Simone, les rythmes afrobeat de Fela Kuti, une berceuse polyphonique de Samthing Soweto ou l’afro-house pulsée de Thabzen Bibo, toujours sexy, les sept championnes de battles aux personnalités bien trempées, jamais ne s’affrontent ou ne se heurtent. Par la justesse de leurs unissons, dans les regards qu’elles se portent en dansant ou dans cette atmosphère joyeuse et protectrice qu’elles réussissent à installer dans la salle, elles offrent un shoot de pure sororité, comme si Queen Blood était construit sur une promesse tacite de ces sœurs de scène : celle de rester unies.

 

Queen Blood de Ousmane Sy avec le Paradox-Sal crew les 12 et 13 décembre 2022 à Pole Sud, CDCN, Strasbourg ; le 25 mars 2023 à l'Arc, Le Creusot ; le 2 avril au Théâtre de Grasse. 

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