Deux corps nus – simplement chaussés de baskets blanches –, pas de musique, d’effet lumineux, ni même de gradins. Les tables sur lesquelles les spectateurs sont assis en quadri-frontale semblent venir tout droit d’un chantier. L’atmosphère est lourde et pesante. Tout semble indiquer que l’on fait face à une arène, reste à espérer que l’on ne sera pas invité sur le ring.
Les performeurs entrent en scène, démarche militaire, genoux hauts et les talons qui frappent le sol. Le duo est syncro et trace des huit autour des îlots de spectateurs. Par moments, iels s’arrêtent et sondent la salle du regard. On est tout habillé mais il y a de quoi se sentir très vulnérables. Après un hochement de tête entendu, les deux passent à l’attaque, glissent sur le sol en direction d’un spectateur, et envoient un grand coup de pied à quelques centimètres à peine de l’heureux élu. Sans transition, iels mettent le cap vers un autre cobaye : ronde, observation, attaque. Sans un mot, impassibles, Ferreira et Pontes parviennent à captiver complètement leur auditoire. Dans une inversion des dynamiques de pouvoir, le duo de corps nus, queer et racisés est au centre de l’espace, en contrôle, iels scrutent et menacent.
Étape une, attaquer ; étape deux, vaincre. L’un des deux performeurs se place à moins d’un mètre d’un spectateur. Tête au sol, il tend ses jambes vers le ciel, plaçant son bassin et la zone la plus intime de toutes en pleine face de la foule. Une position comme un défi, une injonction à être vu. Il s'agit de se réapproprier l’espace duquel on a été exclu. Progressivement, le duo se glisse entre les spectateurs, cherche sa place, s’assoit à côté des uns et des autres. Certains restent stoïques, d’autres, plus confus, leur cèdent la place. Des échanges de regard, des sourires esquissés, la proximité aidant, les interactions s’adoucissent, et comme par magie, l’atmosphère se détend. Dans la pénombre de la salle, une étrange communauté naît.
Repertório est précise et interactive. Tout en contraste, la pièce s’autorise des clins d’œil à la culture drag et quelques pointes d’humour. Pour autant, le show ne perd jamais de vue son objectif, porté par un effort musculaire presque continu. Il s'agit de mettre en évidence le dilemme qui frappe les opprimés d'une société profondément inégalitaire. Entre la vengeance et le vivre-ensemble, que choisir ? Avec cette nouvelle chorégraphie, le duo d'artistes veut bousculer les imaginaires et provoquer l'empathie. Pour l'occasion, il imagine une danse qui se pratique comme on part au combat : déterminé à vaincre.
Repertório N.3 de Wallace Ferreira & Davi Pontes a été présenté le 6 juin dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis à la Commune, Aubervilliers
⇢ Repertório N.2, les 19 et 20 septembre dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon à la Cité internationale de la gastronomie de Lyon
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