Deux chaises en bord de plateau. Deux danseuses s’y assoient, face à face. Leurs hoodies noir tranchent avec leurs jupes : bleu, longues, bouffantes. Chacune sort un tube de peinture de sa poche, l’une bleu l’autre rouge, et trace le contour de son visage. Elles échangent leurs couleurs et rebelote. En silence, le duo se lève, attrape des élastiques attachés aux assises, les fait valser dans les airs puis les jette au sol. La scène frôle un absurde dont l’essence est dans les contrastes : hoodie sur jupons, solennité et rigueur dans le regard, et ces chaises pliantes qu’on soulève pour mieux les lancer. Pourtant, dans le vacarme métallique , un rythme émerge du chaos, en trois temps : un court, un long, un court.
Ce motif, emprunté à la sarabande – danse Espagnole du XVIIe siècle ayant marqué le mouvement baroque européen – traverse la pièce de Laura Simi et Erika Zueneli. Par endroits, la référence est explicite : le duo reprend les codes historiques de la danse sur un air célèbre de Haendel. Ailleurs, celle-ci se niche dans des formes plus contemporaines. Ce voyage historique est aussi l’occasion pour le duo de parcourir ses propres influences. Furtivement, on reconnait le clin d’œil aux mouvements abstraits du chorégraphe Merce Cunningham auprès duquel le duo s’est formé. Plus proches de nous, d’autres styles surgissent – break, hip-hop, rock – et les mouvements se font plus spontanés, hésitants. Le tandem met ici en scène un corps en apprentissage, traversant les époques et les genres artistiques. Un corps en balade entre la sarabande baroque et les esthétiques du jour ; entre les jupons archaïques et un top en mesh reprenant les codes punk d’une Vivienne Westwood. Un corps tiraillé entre les temporalités, anachronique par essence. En ne cherchant ni la perfection ni la validation du public, la danse que propose Simi et Zueneli émet une critique en creux du canon chorégraphique. Ici, seuls comptent le plaisir pris dans l’acte et l’amitié qui les unit.

La pièce aurait pu s’achever sur cette note touchante mais le duo avait d’autres projets. Au XVIIe siècle, l’Inquisition espagnole réprime la sarabande, qu’elle juge trop sensuelle et passionnée. Cette censure plane tout au long de la pièce, symbolisée par le roulement de tambour d’une marche militaire ou par les chapeaux de soldats que revêtent les deux danseuses. À l’exception d’une paire de tableaux un peu plus faibles, le duo rappelle avec force que cette censure, qu’on croirait archaïque, menace encore la création contemporaine. Une ambition qu’on ne pourrait lui reprocher tant l’époque prend à nouveau des airs totalitaires. Ainsi, sans jamais perdre leur ton décalé, Simi et Zueneli signent une pièce personnelle et joyeuse porteuse d’un propos plus acide qu’il n’y paraît.
Saraband de Laura Simi et Erika Zuaneli a été présenté le 5 juin dans le cadre du festival Tours d’Horizons au CCNT, Tours
⇢ le 19 juillet au Festival Surface de danse, Sainte-Marie-la-Robert
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